
Guide
La musique manque-t-elle toujours plus de variété ? 1re partie : les paroles
par David Lee
La musique pop n'est pas en train de disparaître, elle prend juste une autre tournure. C'est l'impression que beaucoup de gens ont. Comment cela peut-il être justifié ou réfuté ? La deuxième partie de la série traite de l'harmonie et donc des accords.
Tout se ressemble, tout n'est qu'une bouillie uniforme, pas vrai ? La première partie de la série a les paroles de chansons comme sujet. Une étude montre que les textes sont de plus en plus répétitifs. Un indice que les chansons sont de moins en moins diversifiées, mais aucune preuve claire.
Dans cet article, on se concentre vraiment sur la musique elle-même. L'analyse est plus difficile.
En fait, j'essaie de répondre à deux questions différentes :
En fin de compte, c'est la deuxième question qui importe. Mais pour y répondre, il faut d'abord savoir comment mesurer la complexité et le caractère d'une seule chanson.
Quand je prenais dans cours de guitare, je devais écrire les accords d'une chanson afin de former l'oreille et de pouvoir la rejouer. J'ai ainsi pu me faire une bonne vue d'ensemble de la structure de la chanson et de sa complexité.
Il y a des chansons avec un seul accord, comme « Electric Avenue » d'Eddy Grant, même si c'est très rare.
Les chansons avec deux accords sont un peu plus fréquentes, mais restent aussi rares. À titre d'exemple, je peux nommer « Born in the USA » de Bruce Springsteen.
Une chanson typique à trois accords : « Get Back » des Beatles.
« Knocking on Heavens Door » de Bob Dylan a quatre accords.
Malgré ses quatre accords, « Knocking on Heavens Door » reste une chanson très simple, pas plus variée qu'« Electric Avenue » ou « Born in the USA ». Le nombre d'accords est certes une indication de la complexité, mais reste un indice. Rien d'explicite.
Le tout devient un peu plus significatif lorsque nous ne comptons pas que les accords, mais aussi les séquences d'accords. Il n'y a qu'une seule chose qui peut expliquer la monotonie de « Knockin On Heavens Door » :
G D | Am | G D | C
Pour être plus concret : une mesure en G majeur et D majeur, une mesure en A mineur, puis de nouveau en G et D, puis une mesure en C majeur.
Malheureusement, le nombre d'accords ne peut pas toujours être clairement déterminé. Selon que les accords sont écrits de façon très détaillée ou plutôt simplifiée, le morceau a plus ou moins d'accords. Écoutez par exemple « Stairway to Heaven » à la minute 5:35 :
Je dirais qu'il y a trois accords différents dans les cinq secondes qui suivent (jusqu'à 5:40). Mais vous pourriez aussi dire : il s'agit d'un accord simple sur lequel une petite mélodie est jouée.
Celui qui veut montrer l'évolution de la musique au fil des décennies a besoin de beaucoup de matériel. Si la complexité des accords doit être étudiée, il faudrait analyser au moins mille chansons.
Il existe des outils d'analyse musicale qui reconnaissent automatiquement les accords. Le service Chordify utilise un outil de ce genre. Il permet d'analyser de grandes quantités de morceaux de musique. Sans assistance informatique, cela serait très coûteux et prendrait énormément de temps.
Cependant, de tels outils font des erreurs, et pas seulement quelques-unes. Par exemple, la version générée par ordinateur de « Killing Me Softly », est complètement fausse. On le reconnaît facilement au fait qu'elle insère aussi des accords là où il n'y en a pas du tout (seulement des tambours et des chants vocaux). Après que « Killing Me Softly » a été retravaillé douze fois (!) à la main, les accords semblent maintenant être corrects. Les chansons moins connues, par contre, restent fausses.
Un certain Dave Carlton s'est donc donné la peine d'analyser un à un 1300 morceaux célèbres. La majorité d'entre eux proviennent du top 100 des charts américains. Vous pouvez voir et écouter leurs structures en ligne.
Carlton a fait des découvertes intéressantes. Par exemple, quelle est la tonalité la plus commune (sans surprise, le C majeur), qui est la séquence d'accords la plus courante (I-V-VI-IV, en C majeur, ce serait C, G, Am, F) et quelles chansons utilisent cette séquence d'accords.
L'enquête ne tient pas compte de l'année à laquelle la chanson a été écrite. Elle ne permet donc pas de répondre à la question de savoir si les harmonies deviennent plus simples et plus monotones. Quoi qu'il en soit, les chansons semblent avoir été choisies assez arbitrairement et datent au maximum de 2011.
La séquence d'accords I-V-VI-IV mentionnée ci-dessus est la même que celle chantée dans des dizaines de chansons de la vidéo suivante. Par exemple « Let It Be » des Beatles, « No Woman No Cry » de Bob Marley ou « Paparazzi » de Lady Gaga. Ensuite, il y aura d'autres chansons avec les mêmes accords, juste dans un ordre différent.
La vidéo est certainement une révélation pour beaucoup. Dans sa description, il est dit que tout sonne pareil. Mais ce n'est pas vrai. Premièrement, la plupart de ces chansons ne sont pas composées de cette séquence d'accords. On retrouve seulement cette dernière dans une partie, comme le refrain. Deuxièmement, la séquence d'accords n'est pas la seule chose à définir un morceau. Le rythme, le tempo, les instruments utilisés ou la façon dont la pièce est chantée sont tout aussi importants.
Il y a une raison pour laquelle I-V-VI-IV est la séquence d'accords la plus courante. Elle sonne tout simplement bien. C'est justement parce qu'elle n'est pas spectaculaire et qu'elle ne se démarque pas que ça ne me dérange pas de l'entendre tous les jours. Elle me fait un peu penser à du bon pain. Par contre, si la séquence d'accords est plus rare, comme celle de « Smells Like Teen Spirit » de Nirvana, on peut plus la comparer à une épice. Elle apporte du changement, mais on en a vite assez si on en prend en trop grande quantité. Les quatre accords E A G C ne vont pas ensemble question tonalité et ne sont par conséquent pas particulièrement harmonieux.
Les compositeurs ne doivent pas réinventer la musique. Tous utilisent les mêmes douze tons. Ce que nous appelons ici répétition ou uniformité peut en réalité juste être la tradition, ou la prise de conscience que certaines choses fonctionnent mieux que d'autres. Le jazz et le blues ont des séquences d'accords standard. Même s'il existe de nombreuses variations du schéma standard, la structure de base est primordiale pour pouvoir parler de blues.
Je n'ai pas trouvé d'étude qui démontre que c'est à cause des accords que la musique populaire devient de plus en plus ennuyeuse. Mais je n'abandonnerai pas aussi facilement. Il existe d'autres études et d'autres moyens de déterminer la complexité d'un morceau de musique. Par exemple :
Vous en apprendrez plus à ce sujet dans le prochain article de cette suite (cliquez sur « Suivre l'auteur » pour être sûr de ne pas le manquer).
Au fait : vous pouvez retrouver tous les titres mentionnés dans cette série dans cette liste Spotify. Elle sera régulièrement mise à jour.
Photo titre : Girl’s Generation.Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense.