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Streaming Insider partie 5 : conseils pro pour Qobuz
par Florian Bodoky
Ça fait des décennies qu'on reproche à la musique d'être de plus en plus monotone. Tout le monde le sait, tout était mieux avant ! Les pessimistes ont malheureusement peut-être raison sur ce coup-là. Je décide de me pencher sur la question.
Tout se ressemble. La musique devient de plus en plus simple et monotone. Elle manque d'originalité et d'innovation. C'est ce que j'entends à tout bout de champ. Et quand je regarde les charts sur Spotify, j'ai la même impression.
Bien sûr, à part les grands hits, on retrouve encore, et d'ailleurs même plus que jamais, des choses passionnantes. Cette impression générale concerne donc tout particulièrement les titres à succès.
Mais est-elle confirmée ? La musique devient-elle vraiment de plus en plus monotone, de plus en plus ennuyeuse, bref : une bouillie uniforme ? Comment peut-on mesurer ça ? Et si c'est vrai, pourquoi en est-on arrivé là ?
Je vais essayer de répondre à ces questions en plusieurs parties. Je consacre mon premier article aux paroles.
Lollipop lollipop. Oh lolli lolli lolli, lollipop, lollipop. Oh lolli lolli lolli, lollipop, lollipop. Oh lolli lolli lolli, lollipop.
Quand il s'agit d'analyser la musique, les paroles ne sont pas le facteur le plus important. Ça dépend du genre. Le jazz et la musique classique se passent souvent de lyrisme, dans le funk ou l'EDM, il joue un rôle subordonné – ceux qui dansent ne veulent pas se concentrer sur les paroles. Les chansons hip-hop, en revanche, ont des textes longs et relativement complexes.
Na-na-na, come on. Na-na-na, come on. Na-na-na-na-na, come on. Na-na-na, come on, come on, come on.
Pourquoi est-ce que je commence par les paroles ? Parce qu'elles sont simples à analyser. Une méthode simple permet d'analyser automatiquement la complexité d'un texte et d'obtenir des résultats significatifs.
Le tout fonctionne comme la compression d'un fichier. Il existe plusieurs algorithmes de ce type, mais en principe, ils fonctionnent toujours de la même manière : l'algorithme examine le texte pour les répétitions et attribue un code numérique à chaque chaîne répétitive. À chaque occurrence, seul leur code est utilisé. L'ensemble du texte est par conséquent raccourci.
Plus les répétitions sont fréquentes et plus les chaînes répétitives sont longues, plus il est possible d'économiser de l'espace grâce à la compression. Le pourcentage d'espace économisé indique donc aussi à quel point un texte est répétitif.
Avec cette méthode, le développeur Colin Morris a évalué le hit-parade américain de 50 années, soit 15 000 chansons diffusées entre 1958 et 2017. Le résultat ne laisse aucun doute : les paroles deviennent de plus en plus répétitives et on dirait bien que ça n'est pas près de s'arrêter.
Il est intéressant de noter que, peu importe l'année, c'est toujours dans le top 10 qu'on retrouve le plus de répétitions. On dirait bien que les gens les aiment. Rihanna remporte de loin l'award des rérérérépétitions.
On réentend régulièrement des chansons extrêmement répétitives. Par exemple, dans « Around the World » de Daft Punk, il y a 144 fois « Around the World » et rien d'autre. Pour ce titre, la compression des données permet d'économiser 98 % d'espace. Sinon, la moyenne est d'environ 50 %.
Morris a exclu les 20 textes de chansons les plus extrêmes de son analyse. Les statistiques ne sont donc pas faussées par des valeurs aberrantes.
Dans son rapport, les données sont d'ores et déjà préparées et visualisées de façon interactive. Vous pouvez y observer les valeurs des artistes et voir les différences entre les décennies. Ce site Web vous permet même de sélectionner les chansons des artistes de votre choix pour voir si elles sont répétitives ou non.
Mais on dirait que les résultats ne sont pas tous corrects. La chanson « Surfin » des Beach Boys n'aurait qu'un taux de compression de 5 %. Ça voudrait dire qu'il n'y a quasi pas de répétitions dans le texte, voire même moins que dans un article de journal. Mais les paroles sont très répétitives. Je suppose qu'il ne s'agit pas d'un cas isolé.
L'étude examine un texte à la fois et ne les compare pas les uns aux autres. Il est clair que, vu que les chansons deviennent toujours plus simples, elles sont moins variées. Mais on pourrait aussi supposer que la diversité soit préservée dans tous les textes.
Afin de savoir dans quelle mesure les textes se ressemblent, des recherches linguistiques seraient probablement nécessaires ; ce qui n'est pas possible avec un simple programme. On pourrait poser des questions comme :
Pour avoir toujours une méthode simple et automatisable, on pourrait comparer l'ensemble du vocabulaire de tous les textes des chansons au fil des ans. Pour ce faire, le même nombre de chansons devrait être examiné chaque année, par exemple les 200 plus grands tubes. Mais je ne connais aucune étude de ce genre.
Quand les gens se plaignent de l'uniformité ou de la répétition constante, ça va souvent de pair avec l'envie de réécouter des chansons plus sophistiquées. Mais une chanson répétitive n'est pas forcément stupide. La caractéristique d'une bonne chanson pop est qu'elle résume quelque chose de compliqué, comme l'amour, en seulement quelques lignes – qui sont répétées plusieurs fois pendant trois à cinq minutes. Dans une chanson, un refrain est presque incontournable. Et, par définition, un refrain est une répétition.
D'un autre côté, un texte de rap peut contenir beaucoup d'absurdités sans répétition, mais n'augmente pas le niveau pour autant.
La répétition des paroles permet-elle de faire des déductions sur la structure musicale d'une chanson ? Dans les cas extrêmes, probablement. Si un texte n'est composé que d'« Around the World » 144 fois, on ne peut pas s'attendre à une structure musicale très complexe.
L'intro se compose de 16 fois le même riff de basse, composé d'une seule mesure. Vient ensuite un motif de 4 mesures qui répète toute la chanson. Ce motif est cependant modifié en permanence : on l'entend d'abord avec les paroles, puis sans, avec des basses, sans basses, ou encore avec des basses très recherchées. À la fin, le chant est imité par un synthétiseur. Musicalement, il n'y a guère deux parties complètement identiques, mais un groove qui lie l'ensemble.
Le texte à lui seul ne permet pas de définir la complexité musicale. Mesurer cette dernière s'avère être un peu plus compliqué. C'est pourquoi j'y consacre tout un article (séparé). Si vous ne voulez manquer aucun de mes articles, il vous suffit de cliquer sur « Suivre l'auteur ».
Photo titre : clip vidéo « Like a princess » du groupe Double Take. ABC News a élu leur chanson « Hot problems » pire morceau de tous les temps.Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense.