En coulisse

Pouce vers le bas pour Facebook

Ce n’était pas une bonne semaine pour Facebook. Les nouvelles révélations d’une lanceuse d’alerte montrent l’ampleur des abus que l’entreprise accepte pour son profit. Le PDG Zuckerberg qualifie ces accsusations de trompeuses.

Le colosse californien de la technologie Facebook ne jouissait déjà pas d’une bonne réputation il y a quinze jours de cela. Néanmoins, sa popularité a dégringolé ces derniers jours.

La cause en est un énorme scandale de fuites d’informations publié par le Wall Street Journal. Avant même la panne mondiale de Facebook, Whatsapp et Instagram en début de semaine, ces révélations ont fait de grosses vagues au niveau international.

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Un aperçu des documents internes de Facebook

Le journal boursier a publié ses analyses d’une montagne de documents internet de Facebook, communiqués par une lanceuse d’alerte, sous le nom de Facebook Files.

Le fait le plus grave : l’entreprise technologique dont l’infrastructure numérique est utilisée quotidiennement par des milliards de personnes dans le monde, sait exactement ce qui ne va pas, mais ne fait rien pour y remédier, et ce malgré l’existence de solutions simples.

Les points suivants sont particulièrement explosifs.

Liste blanche : les célébrités ne sont pas obligées de respecter les règles

Les documents partagés par la lanceuse d’alerte montreraient qu’une société à deux vitesses existe sur Facebook. Si les utilisateurs moyens sont surveillés par les algorithmes des robots pour vérifier qu’ils respectent les directives de la communauté, ce n’est pas le cas des célébrités.

Les algorithmes ne sont néanmoins pas parfaits et commettent souvent des erreurs. Ces bévues, qui sont généralement embarrassantes pour Facebook, ne font pas l’objet d’une grande attention que de la part de personnes particulièrement exposées. En protégeant les comptes importants du contrôle des algorithmes, Facebook évite ainsi les faux pas visibles de l’entreprise.

Le programme de liste blanche est connu en interne sous le nom de XCheck. En 2020, selon le Wall Street Journal, 5,8 millions de comptes ont bénéficié d’un traitement préférentiel dans le cadre de ce programme.

C’est la raison pour laquelle le footballeur brésilien Neymar a pu en 2019 montrer des photos nues d’une femme qui l’avait précédemment accusé de viol dans une vidéo Facebook en toute impunité. Bien qu’il soit strictement interdit de montrer des photos dénudées d’une autre personne, qui, de surcroît, ne le souhaite pas, le message est resté en ligne pendant toute une journée et le profil n’a pas été supprimé.

Selon les documents, Facebook sait qu’une telle société à deux vitesses est en contradiction flagrante avec les lignes directrices de l’entreprise. Rien n’est pourtant entrepris pour y remédier.

Les jeunes filles sont particulièrement touchées par les influences négatives de la plateforme : des études internes à Facebook l’auraient démontré.
Les jeunes filles sont particulièrement touchées par les influences négatives de la plateforme : des études internes à Facebook l’auraient démontré.

Instagram nuit gravement à la santé mentale

Des études internes de Facebook montrent que pour une fille sur trois, les problèmes d’image corporelle préexistants sont exacerbés par l’utilisation d’Instagram.

Les documents internes indiquent que les comparaisons sur la plateforme peuvent changer la façon dont les jeunes femmes se perçoivent et se décrivent. 13 % des jeunes avec des pensées suicidaires les attribueraient même à Instagram.

Selon la lanceuse d’alerte, Facebook tolère toutes ces dérives. Publiquement, Mark Zuckerberg et le patron d’Instagram, Adam Mosseri, prétendent le contraire. Pas plus tard qu’en mars de cette année, Mark Zuckerberg a souligné devant le Congrès états-unien que la recherche avait montré « que l’utilisation d’applications sociales pour se connecter avec d’autres personnes peut avoir des effets positifs sur la santé mentale ».

Abus dans les pays en développement

En plus de garder délibérément secrets les effets négatifs de ses produits numériques, Facebook a aussi un gros problème avec la criminalité, notamment dans les pays en développement.
L’éventail des griefs est ici très large.

Premièrement, Facebook a toléré que les cartels de la drogue au Mexique utilisent publiquement Facebook et Instagram pour recruter des tueurs à gages et coordonner des camps d’entraînement pour les former.

En Afrique, Facebook fonctionnerait en revanche comme un outil de publicité et de communication pour les trafiquants d’êtres humains. Par exemple, attirer les victimes à l’étranger dans l’intention d’obtenir des emplois lucratifs et les maintenir sur place dans des situations précaires de travail forcé, souvent travailleur du sexe ou comme domestiques. Dans certaines zones de conflit comme l’Éthiopie ou le Myanmar, Facebook aurait même été systématiquement utilisé pour inciter à la violence contre les minorités ethniques.

Les employés de Facebook auraient dénoncé en interne tous ces abus régulièrement et en détail. Pas conséquent, la frustration est grande de voir que l’entreprise ne fait pas assez pour y remédier, peut-on lire dans le Wall Street Journal.

Cependant, Facebook communique au monde extérieur qu’il prendra des mesures contre de telles violations, et certaines publications et certains comptes sont effectivement supprimés. Mais au lieu de s’attaquer à la racine du problème et de configurer le système de manière à ce que les criminels ne puissent plus l’utiliser, d’autres aspects, tels que la limitation du nombre d’utilisateurs, seraient privilégiés.

On ne peut nier la gravité de ne pas accorder assez d’attention à la protection des personnes dans les pays en développement : ce sont précisément les pays où la croissance de Facebook est actuellement la plus forte. Cela signifie que le nombre de victimes potentielles qui tombent dans les griffes des gangs de trafiquants de drogue ou d’êtres humains augmente chaque jour. En parallèle, l’entreprise ne semble pas s’impliquer vraiment dans la résolution de ce problème.

Depuis 2018, l’algorithme de Facebook favoriserait les contenus controversés et extrêmes.
Depuis 2018, l’algorithme de Facebook favoriserait les contenus controversés et extrêmes.

Un algorithme séduit par la colère et la haine

En 2018, Facebook a lutté contre une tendance pour le moins inquiétante : les interactions des utilisateurs sur la plateforme ont diminué.

Facebook a reprogrammé l’algorithme de sorte que les « interactions sociales significatives » soient privilégiées. Concrètement, cela veut dire que le robot Facebook évalue maintenant davantage les contenus qui génèrent de nombreuses réactions, « j’aime », commentaires ou partages. Ce contenu possède alors plus de chances d’être affiché sur le mur.

Le problème de cette solution est que le contenu qui provoquer ces réactions se constitue en grande partie de messages incendiaires ou controversés.

Le fait que les murs Facebook des utilisateurs soient donc littéralement inondés de fausses informations et de contenus violents, choquants ou controversés a été évoqué dans des documents internes.

Les scientifiques des données de l’entreprise avaient préparé diverses solutions pour apporter des modifications. Toutefois, le PDG et principal actionnaire de Facebook, Mark Zuckerberg, avait délibérément rejeté certaines de ces solutions, de peur que les utilisateurs n’interagissent alors moins avec Facebook.

Ce n’est qu’à la suite de la prise d’assaut du Capitole en janvier dernier que le géant technologique a finalement été contraint d’apporter des modifications au fonctionnement de l’algorithme.

« Kidstagram » : des manigances pour garder les enfants scotchés à l’écran

Facebook a longtemps été considéré comme « l’application des vieux », mais l’Instagram n’est pas non plus la première plateforme de confiance de la génération Z : les utilisateurs les plus jeunes se multiplient de plus en plus sur TikTok et Snapchat.

Pour contrer cette tendance, Facebook travaille apparemment depuis des années sur divers projets visant à attirer les enfants sur les plateformes sociales.

En mars denier, on savait déjà que Facebook voulait lancer un Instagram pour enfants. Ce plan a immédiatement fait l’objet de vives critiques de la part du public, ce qui explique pourquoi Facebook a fait marche arrière la semaine dernière.

Mais les documents divulgués montrent que « Kidstagram » n’était pas le seul projet de l’entreprise destiné aux enfants. En coulisse, Facebook aurait mené des études pour déterminer les produits qui ont le plus d’écho auprès des enfants et des jeunes adolescents.

Les services de Facebook ne peuvent officiellement être utilisés qu’à partir de l’âge de treize ans.

La lanceuse d’alerte dévoile son visage et témoigne devant le Sénat

Les révélations du Wall Street Journal ont été publiées sans interruption depuis la mi-septembre. La lanceuse d’alerte était encore inconnu à cette époque. Mais elle a montré son visage dimanche dernier : il s’agit de Frances Haugen, 37 ans, spécialiste des données et ancienne chef de produit chez Facebook.

Elle a été employée par l’entreprise technologique pendant deux ans.
Frances Haugen a donné une longue entrevue télévisée dans le cadre de l’émission 60 Minutes sur la chaîne CBS.

Outre le Wall Street Journal, Frances Haugen a divulgué les documents copiés au Congrès états-unien et à la Securities and Echange Commission du pays. Elle a donc été convoquée pour témoigner devant le Sénat états-unien à Washington.

Il reste à voir si Washington va réellement réagir aux révélations actuelles par de nouvelles lois.
Il reste à voir si Washington va réellement réagir aux révélations actuelles par de nouvelles lois.

Facebook devrait reconnaître la « faillite morale »

L’audience a eu lieu cette semaine. Frances Haugen a répondu mardi aux questions des législateurs. L’accent a été mis sur la manière dont la santé mentale des enfants et des jeunes peut être mieux protégée sur Internet.

Au cours de l’audience, Frances Haugen a plaidé en faveur d’une meilleure et plus stricte réglementation du réseau. En outre, elle a souligné que Facebook devrait d’abord reconnaître sa propre « faillite morale » avant de pouvoir regagner la confiance du public.

Mark Zuckerberg prétend que les accusations sont trompeuses

Mark Zuckerberg s’est exprimé dans une longue publication Facebook mercredi. Le patron de Facebook y fait référence à la panne de service et aux révélations des lanceurs d’alerte.

Il affirme que dans une large mesure, ces accusations « n’ont aucun sens ». Si Facebook voulait simplement ignorer les études et les résultats, il ne les aurait pas commandés en premier lieu, indique le billet.

En outre, Mark Zuckerberg a souligné qu’il est faux de prétendre que Facebook fait passer le profit avant le bien-être et la sécurité. Il est profondément illogique que Facebook diffuse intentionnellement un contenu qui mettrait les utilisateurs en colère.

Les voix qui réclament une réglementation plus stricte dans le secteur des technologies se font de plus en plus entendre ces dernières années, reste à savoir si et comment les dernières découvertes seront intégrées dans la législation.

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« Je veux tout connaître ! Je veux des bas terrifiants, des hauts enivrants, des milieux bien moelleux ! » : ces mots d'un personnage culte de la télévision américaine reflètent pleinement mes pensées. Je partage cette philosophie de vie, y compris au travail. Ce que cela signifie concrètement pour moi ? Je trouve que chaque histoire, de la plus insignifiante à la plus incroyable, a son charme. 


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