En coulisse

Nightdive se bat pour que les jeux ne tombent pas dans l’oubli, mais ne croit pas à la préservation forcée

Philipp Rüegg
23/9/2025
Traduction: Sophie Boissonneau

Nightdive fait revivre d’anciens jeux, comme le jeu de tir de Lucas Arts « Outlaws ». Le travail du studio ne représente cependant qu’une goutte dans l’océan. Malgré cela, ils ne sont pas favorables à des mesures de préservation forcée des jeux.

Nightdive est né d’une nécessité. Stephen Kick, un vétéran de Sony qui avait déjà travaillé sur Planetside en 2003, voulait jouer au jeu de science-fiction culte System Shock 2. Il a malheureusement constaté que sa copie originale était incompatible avec les systèmes modernes. Il n’existait pas non plus de version numérique sur Steam ou tout autre catalogue de jeux. Stephen Kick a donc décidé de s’attaquer au problème et a fondé Nightdive.

Au cours des 13 années qui ont suivi, le studio a non seulement réédité, ou plutôt complètement remanié, les deux volets de System Shock, mais a également redonné vie à de nombreux autres classiques dont Doom, Hexen, Turok 2 et Star Wars : Dark Forces. Depuis 2023, l’entreprise appartient à Atari, qui s’est davantage spécialisée dans les jeux rétro.

Nightdive s’est maintenant attaqué à Outlaws. Le jeu paru en 1997 bénéficie d’améliorations contemporaines telles que la résolution 4K, 120 fps, la prise en charge des manettes modernes et bien plus encore. Le remaster de ce jeu de tir à la première personne inspiré du Far West de Lucas Arts a été dévoilé lors de la Gamescom de cette année.

Pour une grande partie des jeux, ce genre d’opération de sauvetage arrive trop tard. Selon une étude (en anglais), près de 90 % des jeux sortis avant 2010 sont déjà perdus. Nightdive s’est hissé au statut de studio modèle pour contrer cette tendance. Cependant, selon l’historien du jeu Frank Cifaldi (en anglais), ce sont le piratage et l’émulation qui ont le plus contribué à la préservation.

Lors de la Gamescom, j’ai rencontré Larry Kuperman, business chef chez Nightdive. Je me suis entretenu avec lui de la restauration des jeux, de l’initiative Stop Killing Games et des raisons pour lesquelles il ne considère pas le piratage comme un moyen légitime de sauver les jeux.

Que penses-tu du piratage comme technique de préservation des jeux ?
Larry Kuperman, Nightdive Studios : je sais que certains développeurs encouragent les gens à pirater leurs jeux plutôt que les acheter sur des plateformes qui ne rémunèrent pas les développeurs. Pour moi, c’est une prise de position risquée. Je comprends ce qui peut les pousser à penser ainsi, mais quelqu’un qui pirate leur jeu, va probablement aussi pirater le mien et je trouve cela inacceptable.

Perdre des jeux est un énorme problème. Imagine que le British Museum ou le Louvre brûlent et que 75 % des œuvres d’art soient perdues. Tout le monde s’accorderait à dire que c’est une catastrophe. Dans le cas des jeux vidéo, la même idée se heurte souvent à l’indifférence générale.

Larry Kuperman et le reste de l’équipe de Nightdive apportent une contribution essentielle à la préservation de l’histoire du jeu.
Larry Kuperman et le reste de l’équipe de Nightdive apportent une contribution essentielle à la préservation de l’histoire du jeu.
Source : Nightdive

Quelles seraient les alternatives légales, en dehors de ce que fait Nightdive ?
J’ai déjà pu m’entretenir avec GOG au sujet de la préservation des jeux et du fait qu’il faille insister constamment auprès des entreprises pour qu’elles documentent et conservent tout, même de simples notes sur une serviette en papier. En effet, lorsque l’on ne comprend pas pleinement le processus de création d’un jeu, il est difficile de savoir où l’on va. Digital Eclipse, notre société sœur, fait également un excellent travail avec ses jeux de musée interactifs. Ils ont récemment présenté la Mortal Kombat : Legacy Kollection et sont également conservateurs du Strong Nation Museum of Play (en anglais).

Que penses-tu de l’initiative « Stop Killing Games » ?
Je trouve que c’est une bonne chose que le sujet soit enfin abordé. Il faut néanmoins être conscient des conséquences que cela peut entraîner. J’ai le droit de dire que c’est bon, c’est fini pour ce jeu. On ne peut pas me forcer à supporter un jeu que j’ai créé jusqu’à ma dernière heure.

La fermeture des serveurs de « The Crew » d’Ubisoft a provoqué un tollé.
La fermeture des serveurs de « The Crew » d’Ubisoft a provoqué un tollé.
Source : Ubisoft

Mais ne devrait-il pas y avoir un moyen pour que les personnes qui ont payé pour un jeu puissent toujours y jouer d’une manière ou d’une autre ?
Oui, ça serait super. La question est toutefois de savoir comment nous pouvons y parvenir.

Je pense que l’on pourrait empêcher la disparition des jeux en créant une incitation à la préservation.

Peut-être avec des allègements fiscaux, je ne sais pas. Je ne veux pas que les jeux disparaissent. C’est pour ça que j’ai besoin du code source pour pouvoir faire mon travail.

Comment choisissez-vous les jeux qui seront réédités ?
Pour Dark Forces, c’est simplement parce que nous en avions envie. Outlaws était une suite logique, car les deux jeux tournaient sur le même moteur. Nos critères de sélection reposent en fait sur trois choses : la première est de savoir si le jeu était populaire. Lorsque l’on m’a demandé de ramasteriser Doom et Quake, je n’ai pas eu à réfléchir longtemps. Deuxièmement, certains jeux n’ont certes pas eu tant de succès, mais ils ont influencé l’industrie.

« Star Wars Dark Forces » a été remasterisé par Nightdive en 2024.
« Star Wars Dark Forces » a été remasterisé par Nightdive en 2024.
Source : Nightdive

Outlaws a établi deux mécanismes qui vont aujourd’hui de soi : le rechargement manuel des armes et la fonction de zoom sur les fusils. Ces innovations méritent une reconnaissance historique. De plus, il s’agit d’un titre Lucas Arts et ces derniers valent toujours la peine d’être rappelés à nos mémoires. Enfin, il y a parfois des jeux qu’il nous tient à cœur de préserver pour des raisons personnelles.

Des exemples ?
Le jeu plutôt méconnu PO’ed, développé par Sam « Kaiser » Villarreal, le génie derrière le moteur Kex (Nightdives Software, pour moderniser les vieux jeux, ndlr), était notre cadeau d’anniversaire pour lui. De nombreuses personnes partagent avec nous leurs histoires personnelles : les jeux ont une signification particulière pour elles, souvent en lien avec des expériences personnelles ou des souvenirs de proches décédés. Même des titres inconnus peuvent revêtir une importance particulière pour certaines personnes.

« PO’ed » est l’un des jeux les moins connus que Nightdive a restaurés.
« PO’ed » est l’un des jeux les moins connus que Nightdive a restaurés.
Source : Nightdive

Est-ce difficile d’obtenir les droits 
Savoir à qui appartiennent les droits n’est pas toujours aisé, notamment parce que nombre d’anciens contrats n’existent qu’au format papier. Il est donc souvent difficile de savoir où les trouver et combien il y en a. Ces incertitudes concernant les droits peuvent poser des difficultés pour la réédition de certains titres que nous aimerions attaquer.

« No one lives forever » en fait-il partie ?
Dois-je vraiment le dire ? Il s’agit d’une grande série de jeux avec une protagoniste intelligente et maline.

Qu’est-ce qui est le plus difficile dans la réédition d’un vieux jeu ?
C’est toujours un défi, mais nous avons une devise simple qui résume notre objectif :

« Notre remaster doit vous procurer les mêmes sentiments que ce dont vous vous souvenez encore de l’original. »

J’ai joué à vos rééditions de « Hexen » et « Heretic » et ai trouvé que la musique était un sujet intéressant. La nouvelle bande audio est fantastique, mais elle ne m’a pas rendu aussi nostalgique que les pistes MIDI originales. Comment parvenez-vous à concilier préservation de l’original et innovations ?
Nous essayons, dans la mesure du possible, de proposer plusieurs options aux joueurs et joueuses. En 2015 déjà, pour Turok, nous avions laissé le choix de jouer avec ou sans brouillard de guerre. De plus, nous expliquons toujours les choix qui avaient été faits à l’époque. En l’occurrence, le brouillard a été implémenté uniquement en raison des limitations techniques de la Nintendo 64. Pour nous, il s’agit de trouver un équilibre entre la nostalgie associée à la musique pour les fans de longue date et l’intégration des nouveaux joueurs et joueuses.

La nouvelle édition « Heretic & Hexen » contient une toute nouvelle bande-son.
La nouvelle édition « Heretic & Hexen » contient une toute nouvelle bande-son.
Source : Nightdive

Comment abordez-vous la réédition de ces jeux remasterisés ?
Nous commençons toujours par le code source. Si possible, nous contactons les développeurs d’origine, car c’est une approche qui s’est montrée efficace. Pour The Thing, par exemple, nous avons réussi à convaincre Ron Ashtiani et Mark Atkinson, deux membres de l’équipe artistique originale, de participer à notre projet.

Comment fonctionne l’import dans le moteur Kex ?
Nous commençons par analyser le code source et le rendre fonctionnel. Ensuite, nous nous attachons aux assets du jeu. Pour ce faire, nous adoptons une approche unique : nous comparons les assets de la version PC avec ceux d’autres plateformes, comme la N64, afin de trouver d’éventuelles différences ou du contenu supplémentaire. Nous les réunissons ensuite afin de créer un produit aussi complet et définitif que possible.

Comment améliorez-vous les textures de basse résolution ?
Nous utilisons des technologies de suréchantillonnage pour augmenter la résolution. Souvent, comme nous l’avons déjà mentionné, nous combinons des assets provenant de différentes versions de la console. Pour Doom 64, notre premier projet pour id Software, nous avons reconstitué la version la plus authentique du jeu à partir de différentes sources. Dans le cas de Shadow Man, notre étroite collaboration avec les développeurs originaux nous a permis de découvrir deux niveaux qui n’ont jamais été terminés et qui n’ont pas été inclus dans le jeu. Le studio manquait de temps et d’argent. Nous, par contre, nous avions le temps et nous avions les assets. Notre version de Shadow Man est donc non seulement la plus complète, mais aussi la plus authentique.

« Doom 64 », sorti à l’origine en exclusivité sur Nintendo 64, est désormais jouable sur PC.
« Doom 64 », sorti à l’origine en exclusivité sur Nintendo 64, est désormais jouable sur PC.
Source : Nightdive

Tu as déjà révélé le prochain projet sur lequel tu rêverais de travailler. Aimeriez-vous également développer un jeu vous-même ?
Nous avons évoqué le sujet, mais nous ne sommes pas prêts. Il y a encore quelques défis à relever, mais nous nous rapprochons du but.

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Enfant, je n’avais pas le droit d’avoir de console. Ce n’est qu’avec l’arrivée du PC familial 486 que le monde magique des jeux vidéo s’est ouvert à moi. Aujourd’hui, je compense largement ce manque : seuls le temps et l’argent m’empêchent d’essayer tous les jeux qui existent et de remplir mon étagère de consoles rétro rares. 


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