En coulisse

La démo de jeu valaisanne au succès tel que Valve contacte son développeur

Philipp Rüegg
24/11/2025
Traduction : Martin Grande

17 000 jeux sont sortis sur Steam rien que cette année. L’un d’entre eux, « Desktop Defender », a même attiré l’attention de Valve. Le développeur de jeux valaisan Conrad Grindheim raconte comment il en est arrivé là.

Un jeu qui se joue tout seul et qui attire pourtant des milliers de joueurs et joueuses : Desktop Defender est un jeu dit « idle », « incremental », « clicker game » ou encore « jeu inactif », dont le principe très simple est de cliquer sur des objets en mouvement. Vous êtes un petit triangle blanc qui tire automatiquement sur tout ce qui s’approche. Visuellement, il rappelle le jeu culte d’Atari Asteroids. Les tirs réussis rapportent de l’argent qui peut être investi dans des améliorations. La particularité de Desktop Defender est que, par défaut, il se lance dans une petite fenêtre sur le bord de l’écran. Idéal pour jouer pendant le travail.

Le concept ne laisse apparemment pas indifférent. Pendant le Steam Néo Fest d’octobre où plus de 3000 démos de jeux étaient disponibles, Desktop Defender a été l’un des titres les plus joués. L’événement, qui a lieu trois fois par an sur la plateforme, offre aux développeurs la possibilité de présenter leurs jeux à un large public avant leur sortie officielle.

Desktop Defender a été développé par Conrad Grindheim, qui vit en Suisse depuis 14 ans et habite actuellement dans le Bas-Valais. Avant de s’installer, le citoyen hispano-norvégien avait passé plusieurs années en Espagne, en Angleterre et en Suède. À 25 ans, il a déjà beaucoup voyagé.

Conrad dirige deux studios : Radhood Games et Conradical Games. Le premier se compose de cinq personnes en moyenne, selon les projets ; et le deuxième est son studio solo, avec lequel il a développé Desktop Defender. Le temps de développement total n’a duré qu’un mois et pourtant, le jeu est en passe de rencontrer le plus grand succès de Conrad à ce jour.

Conrad Grindheim a déjà développé plusieurs autres jeux comme « The Outbound Ghost ».
Conrad Grindheim a déjà développé plusieurs autres jeux comme « The Outbound Ghost ».
Source : Conrad Grindheim

La plupart des titres prennent des années avant d’être terminés et leur succès n’est pas garanti. Il t’a fallu une fraction de ce temps pour Desktop Defender et l’écho qu’il a trouvé est considérable. Comment le jeu a-t-il vu le jour ?
Conrad Grindheim, game designer : Il s’agit d’un projet d’expérimentation rapide. J’aime bien la nouvelle vague de jeux idle, mais je voulais essayer quelque chose de nouveau avec un jeu qui ne requiert qu’un coin de l’écran. Au lieu d’un jeu de farming classique, j’ai opté pour un concept comportant des éléments d’optimisation et de construction de decks. Je suis très satisfait du résultat, tant au niveau du design que des réactions positives des joueuses et des joueurs.

Qu’est-ce qui t’attire dans les jeux idle ?
Je suis généralement fan des roguelikes et donc des auto-battlers roguelike. Les jeux de tower defence font également partie de mes préférés. J’aime beaucoup les jeux qui permettent des synergies entre différents éléments, comme Slay the Spire. C’est l’un de mes jeux préférés de tous les temps et il m’a beaucoup inspiré. J’ai voulu appliquer cette philosophie de conception aux jeux idle. Les jeux qui restent dans un coin de l’écran et me permettent de faire d’autres choses en parallèle me plaisent particulièrement.

« Desktop Defender » se joue dans une petite fenêtre.
« Desktop Defender » se joue dans une petite fenêtre.
Source : Conradical Games

Qu’est-ce qui, selon toi, rend ces jeux si populaires ? Banana, par exemple, est devenu incontournable dans les chartes Steam.
Il y a une fascination fondamentale à voir grandir les chiffres, un mécanisme qui opère également dans les jeux gratuits de gestion de ressources sur téléphone portable. Banana profite en outre de l’intégration de la place de marché Steam. Beaucoup de personnes pensent qu’elles peuvent gagner de l’argent facile dans ce jeu. Je n’y ai jamais vraiment joué. Pour moi, l’intérêt est de pouvoir planifier à long terme, sans la pression des microtransactions, généralement absentes des jeux idle. C’est ça qui me procure un sentiment de liberté et d’indépendance.

Ton jeu était présent au dernier Steam Néo Fest. Qui peut participer à cet événement ?
Il y a trois événements Steam par an, mais les développeurs ne peuvent participer qu’à celui qui précède la sortie de leurs jeux. La démo doit être aussi proche que possible de la version finale afin de donner aux joueurs une impression réaliste. L’événement se déroulait deux semaines avant la sortie de Desktop Defender. Au début, le jeu figurait sur à peine plus de 200 listes de souhaits. Or, comme Desktop Defender était un projet expérimental, j’aurais été satisfait s’il avait simplement permis de couvrir les frais, voire d’enregistrer une petite perte.

Mais le Steam Néo Fest s’est nettement mieux passé. Au tout début de l’événement, trois joueurs y ont joué. Vu la liste de souhaits, c’est ce à quoi je m’attendais. Mais ensuite, le nombre n’a cessé d’augmenter : 40 joueurs à la fin du premier jour, puis plusieurs centaines, et enfin plus de 2000. Pendant une courte période, Desktop Defender a occupé la deuxième place des démos les plus jouées. Si l’on ne considère que les titres du Néo Fest. Après l’événement, j’ai posté une vidéo sur YouTube qui a rapidement atteint quatre millions de vues.

Et soudain, tu as reçu un e-mail de Valve. La société derrière Steam, avec laquelle la plupart des développeurs n’ont jamais de contact direct. Quelle a été ta première pensée ?
L’e-mail est arrivé peu après la fin du Néo Fest.

Valve m’a informé que mon jeu faisait partie des titres les plus joués de l’événement et m’a demandé de laisser la démo en ligne. Je me suis dit : « C’est quoi ce bazar ? »

Je savais que ça se passait bien, mais pas que ça se passerait aussi bien. C’est bien de recevoir un e-mail de Valve, mais c’est encore mieux de créer un jeu qui se distingue des autres et qui soit vraiment apprécié des joueurs et des joueuses.

Ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit un e-mail de Valve.
Ce n’est pas tous les jours que l’on reçoit un e-mail de Valve.
Source : Conrad Grindheim

Pourquoi crois-tu que le jeu soit devenu soudainement si populaire ?
Le jeu capte l’attention et j’ai renforcé cet effet en faisant des publications sur YouTube, Instagram et TikTok. Sur Insta, j’avais une centaine de followers, et j’en ai maintenant 7000. Les vidéos ont permis d’augmenter le nombre de joueurs et Steam a commencé à recommander le jeu de plus en plus. Un cercle vertueux en a découlé.

Plus de 17 000 jeux ont été publiés sur Steam rien que cette année. Pourquoi Desktop Defender se distingue-t-il autant ?
Nous développons généralement un grand jeu et plusieurs petits en parallèle afin de tester des idées et de voir si elles peuvent être intégrées dans des projets plus vastes. Desktop Defender était l’un des plus petits jeux qui ont eu plus de succès que les grands, mais ce n’était pas calculé. L’avantage de cette approche est que tu peux te concentrer pleinement sur le projet principal, tout en expérimentant avec les jeux plus petits et en obtenant un feedback rapide. Cette méthode s’est révélée extrêmement efficace jusqu’à présent.

On choisit soi-même ses mises à jour.
On choisit soi-même ses mises à jour.
Source : Conradical Games

Est-il devenu plus difficile ou plus facile de publier des jeux ces dernières années ?
C’est devenu nettement plus facile, notamment parce que l’influence des gatekeepers traditionnels a diminué.

Il y a dix ans, rien ne se faisait sans éditeur et celui-ci ne te payait même pas. Il te permettait seulement de mettre ton jeu sur Steam. Maintenant, je paie 100 dollars et je suis sur Steam.

Tu n’as pas forcément besoin d’une grande campagne de marketing ou d’une présence à l’E3 ou au Summer Game Fest. Il suffit d’être actif sur les réseaux sociaux et d’avoir un concept intéressant qui attire l’attention. Et il est nettement plus facile de produire de bonnes vidéos sur les réseaux sociaux que de convaincre le Summer Game Fest de mettre ton jeu indépendant sous les feux des projecteurs.

Desktop Defender est-il ton plus gros hit ?
Pour le moment, The Outbound Ghost a plus de succès, mais Desktop Defender devrait effectivement bientôt le dépasser.

Tu as grandi en Espagne, en Suède et en Angleterre et tu vis maintenant en Valais. Comment évalues-tu la scène suisse des jeux vidéo ? La Suisse dispose d’un excellent niveau de formation et de nombreuses personnes douées pour les arts. De nombreux jeux en provenance d’Allemagne et de Suède sont en plein essor. J’imagine qu’à l’avenir, cela pourrait aussi être le cas en Suisse.

« Synth Beast » est le prochain projet d’envergure sur lequel Conrad et son équipe travaillent.
« Synth Beast » est le prochain projet d’envergure sur lequel Conrad et son équipe travaillent.
Source : Conradical Games

En parlant de boum, est-ce que « Desktop Defender » va encore grandir ?
Une grande mise à jour est prévue pour décembre. La suite dépendra de l’accueil que lui réserve la communauté gaming. Parallèlement, nous allons développer d’autres jeux idle et continuer de nous concentrer sur notre grand projet Synth Beast, un jeu d’aventure qui combine des éléments de The Legend of Zelda et de Pokémon. J’ai hâte de le publier l’année prochaine.

Cet article plaît à 42 personne(s)


User Avatar
User Avatar

Enfant, je n’avais pas le droit d’avoir de console. Ce n’est qu’avec l’arrivée du PC familial 486 que le monde magique des jeux vidéo s’est ouvert à moi. Aujourd’hui, je compense largement ce manque : seuls le temps et l’argent m’empêchent d’essayer tous les jeux qui existent et de remplir mon étagère de consoles rétro rares. 


Gaming
Suivez les thèmes et restez informé dans les domaines qui vous intéressent.

En coulisse

Des informations intéressantes sur le monde des produits, un aperçu des coulisses des fabricants et des portraits de personnalités intéressantes.

Tout afficher

Ces articles pourraient aussi vous intéresser

  • En coulisse

    Nightdive se bat pour que les jeux ne tombent pas dans l’oubli, mais ne croit pas à la préservation forcée

    par Philipp Rüegg

  • En coulisse

    Presque un demi-million de joueuses et joueurs sur « Schedule I » : c’est quoi ce jeu ?

    par Debora Pape

  • En coulisse

    Comment une campagne anti-pornographie menace même les jeux sans problème sur Steam

    par Debora Pape

3 commentaires

Avatar
later