Debora Pape
En coulisse

Trains, objectifs, avenir : visite chez Urban Games à Schaffhouse

Debora Pape
4/11/2025
Traduction : Martin Grande

Chez Urban Games, le deuxième plus grand studio de jeu vidéo suisse, je découvre comment un simple loisir est devenu l’une des simulations de transport les plus réussies d’Europe, et pourquoi l’ambition de « Transport Fever 3 » va bien plus loin qu’un simple jeu pour les amoureux du rail.

Assise dans un train-navette à deux étages du RER zurichois (S-Bahn) en direction de Schaffhouse pour visiter le studio Urban Games, je reconnais les wagons bleus distinctifs du simulateur économique Transport Fever 2. J’ai hâte de jeter un coup d’œil dans les coulisses du studio de développement à l’origine de la série de jeux. Mon train étant également présent dans le jeu, je me sens prête à entamer ma journée d’interviews.

Le train-navette à deux étages circule en vrai dans la région de Zurich.
Le train-navette à deux étages circule en vrai dans la région de Zurich.
Source : Debora Pape

Ma visite arrive au bon moment, car Urban Games travaille actuellement sur Transport Fever 3, dont la sortie est prévue pour 2026. Étant passionnée de la série, je suis impatiente de découvrir ce nouveau jeu. Certains détails sont déjà connus et les personnes présentes à la Gamescom ont déjà pu jouer à la démo. Ce n’est pas mon cas, c’est pourquoi j’ai hâte d’avoir un aperçu du jeu... et du studio, qui a connu une croissance fulgurante au cours de la dernière décennie et qui commence à être trop grand pour sa niche de marché.

Bonne nouvelle : toujours pas de date de sortie

Cléopâtre, l’assistante de direction, m’accueille chaleureusement et me fait visiter les locaux sacrés d’Urban Games. Les maquettes de trains exposées un peu partout ne laissent pas de doute à un lien fort avec les chemins de fer, à l’image de deux gigantesques machines de jeux rétro qui attirent le regard au fond du bureau.

Les travaux vont bon train. Le nouveau jeu Transport Fever 3 a fait l’objet d’un premier test bêta fermé et l’équipe est en train de le peaufiner. Je m’assieds avec Nico, le responsable de l’édition du studio. Sur son écran, le jeu défile avec une carte dans la nouvelle région subarctique. De nombreux véhicules filent à toute allure sur les routes et les voies ferrées.

Nico d’Urban Games se languit de la sortie de « Transport Fever 3 ».
Nico d’Urban Games se languit de la sortie de « Transport Fever 3 ».
Source : Debora Pape

Avant d’entrer dans les détails, je demande à Nico de me donner une date de sortie précise. Il ne me répond pas, ce qui n’est pas pour me déplaire. En effet, il m’explique qu’ils peuvent développer le jeu de manière totalement indépendante et libre, et le sortir exactement au moment où il est prêt. C’est une excellente nouvelle pour la communauté, car des jeux sont trop souvent sortis dans un état inachevé par le passé. Alors que le studio collaborait encore avec l’éditeur Good Shepherd Entertainment pour les sorties précédentes, Urban Games se charge lui-même de l’édition de Transport Fever 3.

Un peu plus tard dans la journée, j’aborde également le sujet avec Basil Weber, cofondateur et directeur du studio, qui affirme qu’Urban Games a toujours pu financer ses jeux de manière indépendante : « c’est quand même un énorme avantage de ne pas avoir à se concerter avec quelqu’un d’autre. »

Basil se réjouit de la très bonne réputation qu’Urban Games s’est forgée auprès des joueurs et des joueuses, notamment grâce aux mises à jour gratuites des jeux publiés il y a des années, et qui se manifeste par les nombreuses entrées dans la liste de souhaits Steam pour Transport Fever 3. La confiance et la bonne réputation sont les devises les plus importantes, surtout pour un studio indépendant, et l’équipe aspire à répondre à ces attentes élevées.

Des centaines de milliers de personnes achètent le jeu dès sa sortie parce qu’elles nous font confiance.
Basil Weber

Transport Fever 3 s’embellit

Une fois la question importante de la date de sortie réglée, il est temps pour mon premier aperçu du jeu sur l’ordinateur de Nico. Il s’agit de la version Gamescom de Transport Fever 3, qui contient en outre quelques fonctionnalités nouvellement implémentées. Le quatrième jeu du studio bénéficie de l’expérience acquise au cours des jeux précédents et d’un budget plus élevé. Il y a un monde entre la première œuvre Train Fever, sortie en 2014, et Transport Fever 3.

Train Fever était strictement focalisé sur l’aspect linéaire de la construction et sur une optique fonctionnelle avec une superposition informative. Cela s’adressait surtout à la communauté hardcore de Tycoon. Les successeurs ont ajouté des campagnes, un support de mods étendu, de nouvelles classes de véhicules et, à chaque jeu, des graphismes nettement améliorés (dont de magnifiques vagues déposant une douce écume au pied de palmiers sur des plages de sable blanc). Transport Fever 3 fait encore mieux en proposant une alternance jour/nuit et des effets météorologiques.

« Transport Fever 2 » a donné l’impression d’être en vacances fin 2019.
« Transport Fever 2 » a donné l’impression d’être en vacances fin 2019.
Source : Urban Games

Nico raconte fièrement qu’il y a quelques jours seulement, l’équipe de développement a intégré une simulation atmosphérique complète. Maintenant, il y a même des nuages et de la pluie. Les gouttes d’eau sur l’objectif sont magnifiques. L’obscurité et la pluie changent complètement l’aspect de la carte.

« Transport Fever 3 » se dote d’un mode jour/nuit esthétique et d’averses de pluie.
« Transport Fever 3 » se dote d’un mode jour/nuit esthétique et d’averses de pluie.
Source : Image tirée du jeu

Sans pour autant avoir une influence sur le jeu, les lumières nocturnes, les reflets de l’eau et les intempéries témoignent d’une certaine tendance cosmétique, cherchant à libérer Transport Fever de son image de jeu de niche trop complexe. Depuis Transport Fever 2 au moins, le studio accorde plus d’importance aux apparences. Transport Fever 3 ne se résume plus à une simulation opérationnelle brute depuis longtemps. Au lieu de paysages rudimentaires, il existe désormais des mondes qui valent la peine d’être explorés et exploités. Des coulisses spectaculaires s’offrent ainsi à vous, par exemple pour des tours dans la cabine du conducteur.

Les paysages de « Transport Fever 3 » sont plus détaillés et les montagnes plus montagneuses.
Les paysages de « Transport Fever 3 » sont plus détaillés et les montagnes plus montagneuses.
Source : Vidéo « First Look » d’Urban Games

Plus accessible grâce au mainstream

Avec ce dernier opus, Urban Games veut offrir aux nouveaux venus une entrée en matière plus facile dans ce genre. Si l’interface utilisateur vous submergeait d’informations jusqu’à présent, elle ne devrait désormais vous afficher que ce dont vous avez besoin. La gestion des lignes et des véhicules est également simplifiée.

L’idée est d’aller un peu plus loin dans le mainstream.
Nicolas Heini

S’adresser à un groupe de joueurs et joueuses plus large et simplifier les mécaniques de jeu revient à faciliter le gameplay, chose qui pourrait bien pousser les fans inconditionnels à monter aux barricades. Je demande. Nico me rassure : « mainstream sonne toujours si négatif, mais cela signifie simplement plus accessible, et en arrière-plan, nous avons intégré beaucoup plus de mécanismes. » Urban Games en a déjà présenté une partie dans ses vidéos First Look (lien en allemand). Nico me montre tout directement dans le jeu.

Si je suis perfectionniste, je peux relever tous les défis et optimiser les transports au millimètre près, m’assure Nico. Par contre, j’ai aussi le choix de renoncer aux missions supplémentaires et aux mesures d’optimisation sans compromis. Trouver le juste équilibre a dû être un vrai défi pour les game designers.

Nous ne voulons punir personne.
Nicolas Heini

Le nouveau délai de livraison des marchandises est un bon exemple. Dans Transport Fever 3, je reçois un bonus quand je livre des marchandises dans un délai spécifique à un produit. « Après ce délai, les biens n’expirent pas et tu seras payée même si cela dure plus longtemps », m’indique Nico d’un ton rassurant.

Les délais de livraison constituent de nouvelles sources de motivation. Il s’agit de récompenser et non de punir. Les personnes qui gèrent parfaitement toutes les exigences seront récompensées par une meilleure croissance de la ville et des bénéfices lucratifs. J’ai hâte de voir ce que cela donnera dans le jeu final.

Plus de dynamisme, plus de choix, d’autres récompenses

Transport Fever 3 veut également dire adieu à l’argent comme principale motivation pour la simulation économique. Bien sûr, un compte bien garni reste important, mais si la motivation de continuer à jouer diminue une fois que les caisses sont pleines, c’est dommage. Or, c’était le cas jusqu’à maintenant.

Nous voulons nous éloigner de l’argent. Dans « Transport Fever 2 », tu arrives toujours à un point où tu as assez d’argent et ensuite le jeu devient ennuyeux.
Nicolas Heini

Plus de variété est donc le mot d’ordre pour Transport Fever 3. Celle-ci se présente sous la forme de l’évolution des besoins des citadins, de nouvelles missions, de besoins industriels secondaires et de deux nouvelles classes de véhicules, les hélicoptères et les trams de marchandises. Les plateformes pétrolières devraient rendre le transport de l’eau plus important, tandis que les marais et les canyons rendront l’accès à des endroits isolés plus difficile. Utiliser l’outil de terraformation pour raser les obstacles paysagers gênants susciterait le mécontentement dans les villes et aurait un impact négatif sur la croissance urbaine.

Le simple dragage des marais gênants n’est pas une bonne idée, la population urbaine n’apprécierait pas.
Le simple dragage des marais gênants n’est pas une bonne idée, la population urbaine n’apprécierait pas.
Source : Vidéo « First Look » d’Urban Games

Pour arriver à ses fins, Transport Fever 3 utilise une nouvelle mécanique de développement urbain. La carte est divisée en districts, associés aux villes. Tout ce qui se passe dans un district a un impact sur sa ville, m’explique Nico. Les embouteillages, la pollution, le terraformage et les passagers mécontents dans les embouteillages au milieu de la forêt peuvent freiner la croissance d’une ville.

Les développeurs ont également ajouté un système de niveaux. Je monte dans les niveaux de développement un peu comme dans Cities : Skylines, un simulateur de construction urbaine qui débloque de nouveaux bâtiments au fil de la progression dans le jeu. Ce système inclut des bâtisses inspirées du monde réel.

Nico me montre par exemple une « arène romaine antique ». Si je place le monument unique, un chantier que je dois approvisionner en matériaux et en ouvriers apparaît, comme dans Anno 1800. La construction terminée est chic et offre des bonus pour le district urbain dans lequel elle se trouve. Ç’a l’air génial, non ?

Des monuments comme la Statue de la Liberté devraient apporter de la variété.
Des monuments comme la Statue de la Liberté devraient apporter de la variété.
Source : Image tirée du jeu

Campagne « très difficile » et trafic réglable

L’équipe de développement a également réfléchi à la campagne et y travaille actuellement, me confie Nico. Dans Train Fever, il n’y avait pas de campagne du tout et dans les jeux suivants, elle n’était pas mémorable. Cela devrait cependant changer. Les huit missions de la campagne font office d’introduction au jeu au début, mais selon Nico, elles seront très difficiles et mettront les joueurs et joueuses à l’épreuve.

Vous vous souviendrez encore de cette campagne des années plus tard.
Nicolas Heini

L’équipe d’Urban Games s’est donc demandé ce qu’elle pouvait approfondir dans le thème du transport. Dans la campagne, du contenu et des défis qui n’existent pas dans la démo seront joliment accompagnés de cinématiques et d’une bande-son, promet Nico. J’ai hâte !

Outre la campagne, l’équipe a travaillé sur un autre point souvent critiqué : le trafic routier. Tôt ou tard, les va-et-vient de bus et de camions finissent systématiquement par surcharger les routes et se soldent en un effondrement total du trafic routier. Cela fait longtemps que je souhaite qu’Urban Games intègre de nouveaux outils de gestion du trafic. En demandant à Nico s’ils ont intégré quelque chose de ce style, je m’attends à une réponse négative, car il y a une frontière entre Transport Fever et Cities : Skylines.

Les embouteillages réguliers sont un phénomène fréquent dans ma partie de « Transport Fever 2 » : des embouteillages difficiles à réguler.
Les embouteillages réguliers sont un phénomène fréquent dans ma partie de « Transport Fever 2 » : des embouteillages difficiles à réguler.
Source : Debora Pape

Nico sourit. « Bien sûr que nous avons intégré quelque chose », dit-il en montrant un menu pour une meilleure gestion du trafic. Urban Games ne l’a pas encore annoncé officiellement, c’est pourquoi je ne peux pas parler plus en détail de ce que j’ai pu voir. Juste une chose : je pressens déjà que ces nouveaux outils de gestion du trafic vont me faire me coucher à des heures déraisonnables.

Nous voulons prendre un bon produit et le rendre excellent.
Nicolas Heini

Transport Fever 3 réalise plusieurs grands écarts. En effet, les néophytes doivent pouvoir l’apprécier, mais les pros de l’optimisation et les personnes passionnées d’esthétique et de réalisme doivent aussi y trouver leur compte. Les urbanistes doivent autant y trouver leur place que les fans de trains et les chefs d’entreprise virtuels. Or, après ma session de questions et de jeu, j’ai envie d’y croire.

Cohérent, des années 90 à aujourd’hui

Le studio a bel et bien réussi à élargir son public cible avec les opus précédents. Au cours des onze dernières années, Urban Games est passé du statut de projet amateur mené par trois personnes à celui de deuxième plus grand développeur de jeux vidéo en Suisse, avec 25 membres du personnel. Un succès considérable dont les origines remontent à la chambre d’adolescent du Basil des années 90 qui était fasciné par le jeu de simulation Transport Tycoon publié par Micropose en 1994, dans lequel on construit une entreprise de transport en perspective isométrique.

Sans ce jeu, la vie de Basil aurait pris une tout autre tournure, car déjà à l’époque, il savait qu’il fonderait un jour une entreprise « pour rendre un jeu de ce style encore plus cool ». Le résultat est Train Fever, programmé pendant le temps libre des frères Basil et Urban.

La sortie de « Train Fever » a tout changé.
Basil Weber

La création d’Urban Games a suivi en 2013 et la sortie du jeu en 2014. Je demande à Basil s’ils s’attendaient à un tel succès. « Euh non », dit-il, avant d’ajouter : « mais la sortie de Train Fever s’est beaucoup mieux déroulée que nous ne l’aurions pensé. » C’est ainsi que les frères ont réalisé qu’ils pouvaient effectivement réussir en tant que développeurs de jeux.

« Train Fever » était bien plus simple à cette époque.
« Train Fever » était bien plus simple à cette époque.
Source : Urban Games

Chacun des jeux sortis après Train Fever a dépassé les attentes financières pour servir de base solide à la suite, me dit Basil. Urban Games semble vivre sa propre mécanique de jeu : grâce à une planification intelligente et une expansion constante, une petite entreprise de trois personnes devient l’un des plus grands acteurs du paysage ludique suisse.

Que leur réserve l’avenir ? « Il peut y avoir encore beaucoup de choses à venir, par exemple des téléphériques », répond Basil comme s’il dégainait et rengainait un pistolet en riant. Aucune remontée mécanique n’est prévue pour Transport Fever 3, mais dans le futur, qui sait ? Pour l’instant, tous les regards sont tournés vers ce nouveau jeu en provenance d’Urban Games.

Photo d’en-tête : Debora Pape

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Aussi à l'aise devant un PC gaming que dans un hamac au fond du jardin. Aime l'Empire romain, les porte-conteneurs et les livres de science-fiction. Traque surtout les news dans le domaine de l'informatique et des objets connectés.


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