
Point de vue
Réseaux sociaux : pourquoi il faut s'en passer
par Oliver Herren
Facebook a étendu la vérification des faits à Instagram. Nous avons déjà pu constater quelques blocages de photos surprenants, mais ce n'est que la partie émergée de l'iceberg. L'idée en elle-même est très problématique.
Un petit énergumène a récemment fait parler de lui. Facebook a introduit un mécanisme de vérification des faits sur Instagram comme elle l'avait fait auparavant sur sa propre plateforme. Comme l'on pouvait s'y attendre, la vérification des faits a, dans certains cas, échoué de façon totalement ridicule.
On pourrait par exemple citer les fois où cette incroyable vérification nous informe que certaines photos sont « fausses ».
Évidemment, ces montagnes ne ressemblent pas à ça dans la réalité. Mais, d'un autre côté, personne ne le prétend. Tout le monde comprend bien qu'il s'agit d'un paysage imaginaire. Est-ce cependant une bonne raison pour bannir l'image de la plateforme ? La créativité serait-elle désormais interdite ?
Qu'en est-il de cette vérification des faits qui m'informe que je ne peux pas me débarrasser d'une éventuelle puce RFID en coupant la valve de mes pneus de voiture ? Merci bien, j'avais déjà préparé mon taille-haie.
Le mécanisme de vérification permet aux utilisateurs de signaler eux-mêmes des images. Ces dernières font ensuite l'objet d'une vérification par une entreprise tierce. Sur le principe, cette fonctionnalité ne paraît pas si mal, étant donné que ce sont des êtres humains qui examinent les images et que ces dernières ne sont pas filtrées par de vulgaires algorithmes.
Cependant, nos semblables ne sont pas infaillibles, en particulier lorsque leur travail doit coûter le moins cher possible. Ils sont alors soumis à une pression extrême, doivent évaluer chaque image en seulement quelques secondes et ce, tout au long de la journée. Je suppose que le personnel assigné à cette tâche doit être aussi bon marché que possible et certains employés doivent donc manquer de la culture générale parfois nécessaire. On parle notamment de modérateurs Facebook travaillant depuis les Philippines. Ces employés pourraient considérer la célèbre photo de la guerre du Vietnam représentant une petite fille de neuf ans nue comme un contenu à caractère pédopornographique et la censurer. D'ailleurs, Facebook a effectivement bloqué cette photo, et la seule explication plausible ici reste l'ignorance.
Même si des personnes formées disposaient du temps nécessaire pour prendre ces décisions, certaines d'entre elles pourraient toujours être contestées. En effet, une image en elle-même n'est ni bonne ni mauvaise; tout dépend du contexte. Les plateformes de réseaux sociaux mélangent les sources les plus éloignées et les contextes les plus variés sur un même fil d'actualité. On perd donc l'aperçu sur la situation de départ et tout est décontextualisé. Ces conditions ne sont pas idéales.
La satire constitue par exemple un contexte très particulier. D'un point de vue purement factuel, la satire n'est rien d'autre que de la désinformation. Cela dit, sa raison d'être va bien au-delà des faits. Il s'agit de caricaturer une certaine situation afin de permettre à tous d'en apprécier le caractère ridicule. Malheureusement, la réalité est parfois si ridicule et tellement grotesque qu'elle ne se différencie pas tellement de la satire en l'absence de contexte.
En ce qui concerne Instagram, un autre élément revêt également une importance toute particulière : l'art. En matière de peinture, il est tout à fait acceptable de représenter des choses qui ne reflètent pas la réalité. En matière de photographie, qui peut également être une forme d'art, domine souvent l'idée que les clichés doivent avant tout être une forme de documentation du monde réel et que tout élément divergent serait donc un tissu de mensonges. Cette vision des choses inflexible et dépassée ne convient pas vraiment à Instagram étant donné que la plateforme s'est justement fait connaître grâce aux effets artistiques offerts par les filtres.
L'art numérique a souvent l'air réaliste. Ainsi, seul le contexte permet de déterminer si une image représente la réalité ou un univers imaginaire. Une photo doit-elle être purement artistique, purement réaliste ou bien peut-elle être un peu des deux ? Seule la réponse à cette question permet d'évaluer les images de façon équitable.
Dans le cas des informations et des reportages, j'attends que les photos ne soient pas dénaturées, faute de quoi j'ai l'impression d'être trompé. C'est notamment le cas en ce qui concerne les photos qui figurent dans le magazine Geo ou dans le National Geographic. Le mécontentement concernant la photo retouchée des arbres parmi les plus vieux du monde de nuit est justifié. Il s'agit sans aucun doute d'une jolie photo, mais sa publication dans le National Geographic suggère qu'il s'agit d'une image documentaire. Cette publication a donc été supprimée.
Pour faire simple, imaginons que les employés qui vérifient les informations contrôlent uniquement les contenus à visée documentaire. Ils ne bénéficieraient ici d'aucune incitation financière étant donné qu'il est beaucoup plus simple de signaler l'inexactitude des memes idiots que des publications à visée informative. Imaginons un monde dans lequel ce système pourrait fonctionner.
La vérification des faits en elle-même resterait problématique.
Qui sont les employés chargés de vérifier ces informations ? Sont-ils meilleurs que les auditeurs internes du Spiegel, du New York Times ou du Guardian ? J'en doute fort. De quel droit Facebook s'autorise-t-elle à statuer sur le sujet ? Qui peut véritablement vérifier les informations rapportées par les reporters de guerre ? Qui peut prétendre savoir s'ils disposent véritablement d'une vision globale ou si, au contraire, leur perspective est limitée ?
Certainement pas une armée d'employés mal payés qui vérifient chaque jour les informations contenues dans des millions de publications.
Et s'il existait une instance centralisée décidant de ce qui est bon et de ce qui ne l'est pas, ne sombrerions-nous pas dans l'univers de 1984 ? En raison de leur situation de monopole, les groupes tels que Facebook ou Alphabet disposent d'un pouvoir de définition relativement extrême. Ils peuvent tout simplement faire disparaître certaines publications. Si ce pouvoir n'est pas utilisé de façon responsable, on assiste dans le pire des cas à l'apparition d'une sorte de Ministère de la Vérité, comme dans 1984 d'Orson Wells. Des employés anonymes et inaccessibles décident quels contenus seront visibles ou non en fonction de critères obscurs.
Comme si cette situation n'était pas déjà suffisamment problématique, n'oublions pas qu'un mécanisme psychologique intervient également chez les personnes vérifiant les informations : nous ne croyons souvent pas ce qui est plausible, mais plutôt ce que nous avons envie de croire. Cela signifie qu'un grand nombre d'individus campent sur leurs positions même s'il est possible de réfuter chacun de leurs arguments. Les personnes chargées de vérifier les informations préfèrent ignorer l'évidence selon laquelle la vérification des faits ne remplit pas son objectif.
Qu'en est-il des pauvres adolescentes qui choisissent pour modèle un mannequin parfait sous tous les angles et s'y comparent jusqu'à s'en rendre malades, quand bien même les photos publiées sur Instagram ne correspondent pas du tout à la réalité ? Instagram ne pourrait-elle pas les aider en ajoutant des mentions de prévention ?
Une fois encore, je reste sceptique. En effet, cette solution ne permettrait pas de résoudre le problème de fond. Il existe des mannequins qui ont l'air totalement irréels dans la vraie vie. Dans d'autres domaines également, il existe une multitude de modèles impossibles à atteindre, qu'ils soient réels ou factices. Apprendre à s'en accommoder fait partie du passage à la vie d'adulte. Il n'est ni possible, ni souhaitable, de censurer toutes les publications risquant de déstabiliser les adolescents. Au contraire, nous devons plutôt chercher à créer un environnement donnant à chacun l'impression d'être reconnu à sa juste valeur, indépendamment de ses performances ou de son apparence.
Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense.