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Photos et vidéos truquées: ce qui est possible aujourd'hui et comment repérer les «fakes»

David Lee
31/7/2018

Le progrès dans les domaines des logiciels, du matériel et de l'intelligence artificielle nous apporte des images et vidéos semblant bien réelles, mais qui, en fin de compte, sont manipulées ou générées par ordinateur. Comment gérer cela? Une question épineuse. En tous les cas, il est important d'en savoir le plus possible sur les techniques de falsification, afin de séparer le vrai du faux.

Rares sont les retouches photo qui sont des falsifications. Car une falsification nécessite une intention frauduleuse. Il y a bien sûr différents avis sur la question de savoir à quel point les photos peuvent être retouchées, par exemple pour les shootings de mode, et la limite entre «optimisation» et «fraude» reste floue. Mais ceci est un autre sujet. Je ne m'étendrai pas davantage là-dessus dans cet article. Ici, il s'agit avant tout de savoir s'il est possible de détecter des falsifications d'images et, si oui, comment.

Voir, c'est croire – notre organe de contrôle est laxiste

Reconnaître une falsification dépend bien évidemment de la qualité de cette dernière. Les experts sont unanimes à ce sujet: une bonne falsification est extrêmement difficile à détecter, à moins d'avoir l'image originale pour comparer. Il en est de même pour les tableaux, comme le montre par exemple le cas du faussaire d'œuvres d'art Wolfgang Beltracchi. Dans une interview passionnante avec le NZZ, l'artiste Beltracchi explique comment des experts en art se sont obstinés dans des expertises à soutenir l'authenticité des tableaux, jusqu'à ce qu'il avouât qu'il s'agissait de falsifications.

Bien évidemment, tout commence par un soupçon. Normalement, vous vous méfierez d'un motif irréaliste si la géométrie et les proportions vous semblent bizarres ou si la source ne vous semble pas fiable. L'organe intérieur de contrôle est néanmoins bien plus laxiste pour les images que pour les textes. Alors que les images sont tout aussi mensongères que les mots. Pourquoi faisons-nous davantage confiance aux images? La raison la plus évidente: nous ne pouvons pas faire attention à tout. Nous ne contemplons toujours que quelques détails d'une image.

Notre crédulité à l'égard des images peut aussi être en rapport avec l'évolution. Depuis qu'il utilise la parole, l'homme manipule avec les mots. Avec les images, c'est un exercice plus récent. À cela s'ajoute que de nombreuses personnes prennent tout bonnement une photo pour une reproduction de la réalité. Cette croyance a toujours été naïve et, stricto sensu, erronée: même de prétendues «vraies» photos sont des créations artificielles, tout comme les peintures ou les contes. Surtout à l'ère du numérique.

Enfin, le type de manipulation d'image est déterminant pour détecter une falsification. Regardons de plus près différentes techniques importantes.

Montages photo

Pour le montage photo, un objet d'une autre photo est inséré dans l'image. Pour obtenir un résultat réaliste, différentes choses doivent coïncider:

  • les proportions. Ce n'est pas toujours très simple, car les objets proches de l'appareil photo doivent être plus grands, mais grands comment?
  • l'angle et la perspective. Si la personne A est visible en légère contre-plongée, il faut que la personne B le soit également
  • la direction de la lumière (bien visible avec les ombres) et également le type de lumière (lumière dure ou douce, froide ou chaude)
  • la luminosité, le contraste, la saturation, la balance des couleurs et la netteté de la section d'image insérée doivent être à peu près identiques au reste de l'image.

La Kényane Seve Kinya a posté cette photo sur Facebook le 2 mars 2016. La belle histoire qui se dissimule derrière cette photo, si l'on en croit les médias: Seve aurait aimé aller en Chine, mais elle n'avait pas d'argent, même pas un passeport. Elle a donc voyagé dans son imaginaire avec des montages photo faits maison. Bien sûr, tout le monde reconnaît la falsification dès le premier coup d'œil, car ni le contraste, ni les couleurs, ni la lumière ne vont ensemble. Pour une raison inconnue, ce montage photo est devenu viral, des gens ont inséré la femme dans de nombreuses autres photos. Pour Seve, ce fut un coup de chance: un compatriote, dans un élan d’altruisme, a récolté des dons pour elle. La même année, Seve a pu poster une vraie photo d'elle sur la Grande Muraille.

En comparant avec cette photo, vous voyez immédiatement que les proportions sur la partie supérieure falsifiée de l'image ne correspondent pas.

Sur les points ci-dessus, si le travail n'est pas bien fait, vous reconnaissez une falsification à l'œil nu. Les bords de l'objet constituent un signe distinctif important: ses contours. Pour qu'un objet puisse être inséré dans l'image, il faut d'abord le détacher entièrement de son fond d'origine. Cette tâche à elle seule peut s'avérer extrêmement fastidieuse, selon les contours et le fond. Quand il s'agit de découper une personne, il faut procéder au contournage des mèches de cheveux. Un exercice bien plus facile lorsque l'environnement original représente un fond homogène (par exemple en studio).

Retouches

La retouche est pour ainsi dire le contraire du montage. Un objet est retiré d'une image. Dans ce cas, il ne faut pas qu'il y ait de trou, mais la zone doit être retravaillée avec des parties d'image plausibles. Selon la taille et l'image, c'est une opération allant de très facile à très difficile. Tout le monde peut retoucher un bouton du visage. Pour ce faire, vous utilisez le pinceau de retouche et vous cliquez sur le bouton. Terminé. L'outil prend un bout de surface de son environnement et le copie sur la zone à supprimer. Plusieurs outils similaires dans Photoshop ont la même fonction, par exemple le tampon de duplication.

En fonction du fond d'image, faire disparaître des personnes entières ou de grands objets est difficile. Avec un fond homogène, Photoshop le réalise de façon entièrement automatique avec la fonction «Remplissage d'après le contenu».

Comme le tampon de duplication et le pinceau de retouche, le remplissage d'après le contenu utilise également les zones d'image environnantes pour la retouche. C'est pourquoi les motifs se répètent: par exemple, on verra deux nuages parfaitement identiques ou deux vagues parfaitement identiques dans l'eau. Dans la plupart des cas, nos yeux ne s'en rendront pas compte, à moins que nous soyons méfiants de nature. L'ordinateur permet de détecter facilement ce type de retouche. Vous en saurez davantage dans la partie consacrée aux outils médicolégaux.

Déformations

Avec l'outil Fluidité dans Photoshop, il est très facile de modifier les contours.

De tels outils (ou d'autres outils similaires) sont utilisés volontiers pour donner une silhouette avantageuse aux femmes et plus souvent encore pour transformer en des créatures surréalistes des femmes qui sont déjà dotées d'une silhouette avantageuse.

Allonger les jambes, oui, mais pas trop quand même! Mais elles illustrent très bien ce que je suis en train d'expliquer dans mon article. Capture d'écran: aliexpress.com
Allonger les jambes, oui, mais pas trop quand même! Mais elles illustrent très bien ce que je suis en train d'expliquer dans mon article. Capture d'écran: aliexpress.com

Il faut tout de même avouer que ces manipulations sont souvent faciles à repérer. Ici, le fond a également été déformé. À moins de nous retrouver en pleine nature, nous sommes entourés de lignes qui devraient être droites: cadres de portes et de fenêtres, bords de tables, dalles, etc. Lorsque ces lignes sont courbées bizarrement juste au niveau de la poitrine ou des hanches, vous savez tout de suite ce qu'il en est. De même si la taille est très fine et les avant-bras trop larges.

Cette photo montre une robe destinée à l'achat sur aliexpress.com. Le mannequin a été doté ultérieurement de formes féminines, ce qui se voit aux lignes courbées du meuble qui se trouve à sa droite.
Cette photo montre une robe destinée à l'achat sur aliexpress.com. Le mannequin a été doté ultérieurement de formes féminines, ce qui se voit aux lignes courbées du meuble qui se trouve à sa droite.

Sur fond neutre, sous certaines conditions, il est possible de déformer directement l'objet sans que cela ne se voie. Cependant, de nos jours, les mannequins qui se présentent exclusivement devant de tels fonds sont d'emblée considérés comme suspects.

Outils médicolégaux

Différentes méthodes médicolégales facilitent la détection de falsifications d'images. L'ingénieur en logiciels suisse Jonas Walker a développé une interface navigateur facile à comprendre qui vous permet d'essayer par vous-même d'appliquer quelques méthodes courantes. Mais avant cela, permettez-moi de vous mettre en garde contre des attentes irréalistes. Ces outils vous seront seulement utiles si vous savez ce qu'il faut prendre en compte. Par ailleurs, ils ne vous donnent que des indications sur une éventuelle manipulation, ce ne sont pas des preuves. Enfin, ces méthodes sont surtout efficaces pour les fichiers d'origine. Pour les images que vous avez prises quelque part sur la toile, elles s'avèrent souvent inefficaces.

Clone Detection: détecte automatiquement les parties d'image dupliquées. La fonction indique les zones d'où des objets ont été retirés avec le tampon de duplication ou un outil similaire.

**Error Level Analysis (ELA): détecte les artéfacts JPEG créés par compression (réitérée). En soi, les artéfacts ne constituent pas encore un indice de manipulation. Ce qui est suspect, c'est lorsqu'une zone contient des artéfacts sensiblement différents par rapport à une autre zone d'image qui montre quelque chose de très similaire.

Dans la représentation ELA, les couleurs deviennent toujours plus sombres à chaque sauvegarde. Lorsqu'un objet est inséré dans l'image, il est beaucoup plus clair dans l'ELA qu'il ne devrait être.

Il faut néanmoins tenir compte de ce que les images sur Internet sont de toute façon susceptibles d'avoir déjà été sauvegardées et modifiées plusieurs fois. A contrario, on ne peut pas dire que l'absence de ces irrégularités soit un indice que l'image n'a pas été manipulée.

Analyse en composantes principales: dans ce billet, Jonas Walker explique le fonctionnement de l'analyse en composantes principales (ACP) et son utilité. Son exemple met en évidence le «remplissage d'après le contenu» de Photoshop, mentionné plus haut. Même si cette analyse met mieux en lumière les transformations, il faut quand même savoir à quoi faire attention.

Outils automatiques (Deep Fakes) permettent de réaliser des vidéos truquées

Un montage photo qui semble authentique n'est donc pas aussi facile à réaliser. C'est d'autant plus étonnant que ces derniers temps, des outils ont été développés pour permettre la manipulation non seulement de différentes images, mais de tout un clip vidéo. Le maître-mot ici est [Deep Fake] (https://www.sciencesetavenir.fr/high-tech/intelligence-artificielle/deepfake-le-pouvoir-de-manipulation-de-l-intelligence-artificielle-en-un-mot_124308). Pour les «fakes» (falsifications), l'on utilise les méthodes du Deep Learning.

Pour beaucoup, cela peut choquer de voir circuler sur le net des vidéos pornos dans lesquelles figure le visage d'une célébrité inséré de manière plus ou moins convaincante. Mais cela ne s'est pas fait en un jour. Il existe depuis longtemps des logiciels de reconnaissance automatique des visages, indépendamment de l'angle de vue et d'autres variables. Utiliser l'angle de vue reconnu automatiquement sur une autre image existante constitue l'étape suivante logique du développement. Mais ça aussi, ça existe depuis un bon bout de temps déjà, par exemple sous forme de diverses applis de morphing, qui déforment les visages, ou Face Swap de l'application Snapchat, une fonction permettant d'échanger des visages. Avec Deep Learning, le logiciel est entraîné jusqu'à ce qu'il soit en mesure de monter des visages sans aucune aide humaine. Et, une fois que cela marche, la technique peut également être appliquée à une vidéo entière.

Ce que je veux dire par là: ce sont de nombreuses petites étapes évolutives, et non une seule grande étape, qui ont permis de réaliser ces vidéos «deep fake». Or, maintenant que la technique est évoluée au point de servir à réaliser des pornos falsifiés, l'émoi (ou plutôt l'excitation) médiatisé est à son comble.

Jusqu'à présent, la plupart du temps, il était facile de voir que c'était des vidéos truquées. Elles sont floues, tout semble flotter de manière désordonnée, et parfois, on peut voir des mélanges bizarres et irréalistes. Malgré tout, ces vidéos ont un fort potentiel d'engendrer un sentiment d'insécurité, parce que côté vidéos, nous sommes encore plus crédules que pour les photos. Il faut dire que jusqu'à présent, les vidéos, contrairement aux photos, ne pouvaient être falsifiées qu'en déployant des efforts extrêmes. Ce n'est plus le cas aujourd'hui.

L'avenir: perdons-nous le sens de la réalité?

Les résultats vont certainement se perfectionner sans cesse et il sera toujours plus difficile de détecter les falsifications. Si, un jour, il ne devait plus être possible de distinguer les photos et les vidéos authentiques de leurs versions manipulées, il manquera à la justice l'un de ses éléments de preuve les plus importants. Le progrès, une régression? Ce serait un retour en arrière de plus d'un siècle pour la jurisprudence. Et bien sûr, d'une manière générale, ce n'est pas bénéfique à une société lorsqu'il n'y a plus de consensus sur ce qui est réel et ce qui ne l'est pas.

Mais la détection informatisée des falsifications fait également l'objet de perfectionnements permanents. C'est devenu une véritable compétition. Selon moi, ce n'est pas une raison de tout voir en noir. Aussi, nous les humains, sommes-nous également sensibilisés dans notre perception. Imaginez qu'une personne de 1990 regarde un jeu vidéo bien réalisé de 2018. Elle prendrait probablement cette scène de jeu pour un film. En revanche, un jeune qui a 20 ans aujourd'hui peut bien mieux faire la différence entre un film et un jeu vidéo. Mais même si le monde virtuel s'approche toujours plus du monde réel, cela ne signifie pas pour autant qu'on ne pourra plus les distinguer un jour. Les générations suivantes développeront de nouvelles capacités dans ce domaine.

Image de couverture: capture d'écran de la vidéo «Ed». Ed est un humain 3D, une réalisation de l'artiste Chris Jones.

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Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense. 


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