
En coulisse
Coupez! Neo de The Matrix n'a aucune personnalité
par Luca Fontana
De la pilule rouge au mauvais steak, peu de films remettent en question notre petite existence confortable aussi radicalement que « Matrix », que nous faisons revenir en force sur l’écran IMAX.
Silence. Le vent. Un coup de feu. Un autre. Et un autre. Le temps ralentit. La caméra tourne. Soudain, l’impossible : un homme qui ne court pas. Qui ne saute pas. Il se contorsionne en l’air comme une vague. Le dos cambré, les bras tendus, à quelques centimètres du sol. Il évite élégamment les balles mortelles qui lui sont destinées.
Oui, les règles qui régissent ce monde sont négociables. Ce que vous croyiez être de la physique pourrait bien être du code informatique. Votre réalité pourrait bien être irréelle. Elle pourrait bien être... la Matrice.
Certaines règles sont aussi négociables en dehors du film. Par exemple, pour savoir sera le prochain film projeté sur l’écran IMAX. Lors du grand vote il y a un mois, vous avez choisi Inception. Nous aurions aimé le diffuser, mais actuellement, aucun film de Christopher Nolan n’est autorisé à être projeté en IMAX. Même punition et même motif pour le deuxième du classement, The Dark Knight.
Le numéro trois, et pas des moindres, reprend le flambeau : selon Warner Bros, Matrix est le premier titre du studio à être passé par le processus de remastérisation numérique (DMR) IMAX. Autrement dit, chaque image a été optimisée pour être encore plus impressionnante sur le plus grand écran, le dimanche 21 septembre dans tous les cinémas Pathé-IMAX de Suisse, en langue originale et comme toujours en coopération avec The Ones We Love et Pathé Suisse.
Néanmoins, cet article n’est pas juste un simple rappel. Il est une invitation à remettre en question votre réalité. Installez-vous confortablement, lancez la musique de film emblématique de Don Davis et laissez-vous emporter dans un monde étrange et lointain qui pourrait bien être le vôtre.
Attention, spoilers !
« La Matrice est universelle. Elle est omniprésente. Elle est avec nous ici, en ce moment même. Tu la vois chaque fois que tu regardes par la fenêtre ou lorsque tu allumes la télévision. Tu la ressens quand tu vas travailler, quand tu vas à l’église ou quand tu paies tes factures. Elle est le monde qu’on superpose à ton regard pour t’empêcher de voir la vérité. »
La première fois que j’entends les paroles de Morpheus, elles me secouent. À 14 ou 15 ans, je suis assez âgé pour savoir que quelque chose ne va pas dans ce monde, et trop jeune pour comprendre quoi exactement. Je m’en souviens encore. Cette lucarne cinématographique s’ouvre et me happe pour me montrer que je ne suis pas le seul à avoir ce sentiment.
Le sentiment que tout est en quelque sorte... faux.
Le sentez-vous aussi ? Vous vivez une vie que quelqu’un d’autre a aménagée pour vous, non ? Réveil, travail, sommeil. Consommer, fonctionner, ne pas faire de vague. Acheter par-ci, entendre des infos controversées par-là, tout en gardant le sourire. Au fond de moi, je sais que quelque chose se cache derrière tout ça.
Matrix touche une corde sensible toujours très actuelle. C’est peut-être là le plus grand secret du film. Il n’invente pas un avenir étranger déconnecté du présent. Au contraire, il nous expose notre propre réalité sous un nouvel angle, tout aussi pertinent aujourd’hui qu’il l’était à la sortie du film en 1999.
En effet, l’idée que nous vivons dans un système qui nous fait croire que nous sommes libres alors qu’il a depuis longtemps préstructuré nos décisions n’est pas une fiction, c’est notre quotidien. Nous sommes suivis, mesurés, filtrés. En tant qu’individus transparents, classés par cohortes, groupes cibles et classes de pouvoir d’achat. Nos intérêts sont observés, amplifiés, manipulés par des algorithmes qui, sans savoir qui nous sommes, prédisent exactement où nous allons cliquer.
Notre monde est plus que jamais devenu une simulation à base de stimuli, de recommandations et de choix supposés, n’est-ce pas ? On nous dit quel film est pertinent pour nous, quelle opinion nous devrions lire, et même quelle relation nous pourrions avoir si nous installons les bonnes applis, le paradoxe résidant dans le fait que tout est adapté à nos besoins dans un système que nous ne contrôlons pas.
Une liberté qui ressemble de plus en plus à un modèle d’abonnement : 9,90 par mois, résiliable à tout moment à condition d’avoir bien lu les petits caractères.
Se réveiller de cette simulation n’a rien de romantique. Pas de lever de soleil, pas de doux moment de clarté. Du moins, pas dans Matrix. S’y réveiller est froid et douloureux. On perd tout ce qui nous portait jusqu’à présent. Amis, famille, vie quotidienne, le rêve n’est plus qu’un voile sur la réalité.
Neo ne tombe pas doucement de son rêve, il en est arraché, nu et faible, relié à des tuyaux qui le maintiennent en vie... ou plutôt en fonctionnement. La vérité n’est pas un cadeau, elle est imposée.
Si ce moment nous frappe si durement, c’est peut-être parce que Neo lui-même est un personnage sans grand ego, sans passé surchargé. Sa personnalité peu affichée se prête parfaitement à la projection de nos propres sentiments sur lui. Sa peur est notre peur, notre confusion est sa confusion. C’est comme si son premier souffle dans le monde réel était le nôtre.
C’est précisément pour cette raison que le film a encore un impact aujourd’hui. Il ne nous vend pas l’illusion que se réveiller est facile. Il nous montre qu’il faut du courage pour troquer le mensonge familier contre une vérité qui dérange. Une décision que nous pourrions très souvent prendre dans nos petites vies et que trop souvent nous ne prenons pas.
Cypher en est l’incarnation. Le personnage connait la vérité et souhaite malgré tout retourner dans l’illusion. Il est assis au restaurant de la Matrice, un steak parfaitement cuit dans son assiette. Il sait que ce n’est pas réel. Que chaque bouchée n’est qu’une impulsion électrique que son cerveau interprète comme un plaisir. Et il affirme pourtant : « Les ignorants sont bénis ! »
Matrix est resté incroyablement pertinent. Tout le monde connait cette décision, la possibilité ignorée de prendre une « pilule rouge », par exemple en évitant une conversation désagréable ou en ne démissionnant pas d’un travail stable malgré ses inconvénients évidents. Nous n’allons pas jusqu’au bout de la vérité parce qu’elle exige de nous quelque chose qui fait peur.
En 2025, nous ne vivons certes pas encore dans un désert post-apocalyptique et pourtant, ce ne sont pas les pilules rouges qui manquent. Elles adoptent juste une forme différente. Certaines d’entres elles sont un article dont nous savons qu’il remet en question notre opinion, que nous n’ouvrons pas, exactement pour cette raison. Ce sont aussi les personnes qui nous préviennent que l’algorithme Insta est là pour nous conditionner, et nous continuons de scroller quand même à des fins de gratification immédiate. Ou encore la prise de conscience que notre zone de confort, notre bulle, n’est pas la vérité, mais une vérité.
Les micro-décisions que nous prenons au quotidien, dans le présent et non pas dans un avenir lointain, font de Matrix une histoire intemporelle. Elles ne sont pas faites de science-fiction. À l’inverse, elles sont le contenu de chaque conversation, de chaque flux de notifications, de chaque « je le ferai peut-être plus tard ». Et comme dans les films, personne ne vous forcera à avaler la pilule rouge. Elle est tout simplement là.
C’est à vous de prendre la décision.
Voulez-vous vraiment tomber de haut ? Jusqu’où voulez-vous aller ? Je veux savoir. Chaque regard vers l’abîme est aussi un regard vers la vérité, aussi gênante soit-elle. Ce ne sont pas les effets spéciaux, les lunettes de soleil, les balles esquivées ou les mouvements de kung-fu qui rendent Matrix immortel. C’est le rappel immuable que nous avons toujours le choix.
Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»