
En coulisse
Progrès de l’IA : ChatGPT (2025) est plus bête que Shrdlu (1970)
par David Lee
D’innombrables chansons générées par l’IA inondent les portails de streaming. Il s’agit d’un phénomène relativement nouveau, qui ne fait qu’amplifier des problèmes connus depuis longtemps.
Le spam généré par l’IA ne fait pas qu’envahir les portails, il sert également de base à la fraude. Des bots « écoutent » automatiquement les morceaux générés par l’IA afin que leurs créateurs encaissent les droits d’auteur. Spotify et ses concurrents tentent de contrer ce phénomène grâce à la détection automatique du comportement des bots.
Pour les créateurs de musique, l’IA pose en outre un problème fondamental. Leur travail pourrait à l’avenir perdre une grande partie de sa valeur. Pourquoi aurait-on encore besoin de musiciens si l’on peut créer de la nouvelle musique d’un simple clic ?
Ma thèse est que tous ces problèmes ne sont pas si nouveaux, mais qu’ils sont considérablement amplifiés par l’avènement de l’IA. Examinons cela en détail.
L’attention est la monnaie du XXIe siècle. Et la répartition de celle-ci sur YouTube est similaire à celle sur Spotify. Seules quelques vidéos sont souvent visionnées, la grande majorité l’est rarement, voire jamais. Selon cette étude, la moitié de toutes les vidéos YouTube ont été regardées moins de 35 fois. Près de 5 % ne l’ont même jamais été. À l’inverse, les 0,16 % de vidéos les plus populaires représentent la moitié de toutes les vues.
C’était en 2022, avant l’essor du slop IA.
Le principe est que « le gagnant rafle la mise ». Pour les personnes qui gagnent leur vie dans le domaine du contenu, cela pose un problème, à l’exception de quelques superstars pour lesquelles le système fonctionne. Tous les autres gagnent peu ou rien, et même ceux qui peuvent en vivre sont sous forte pression de produire en permanence de nouveaux succès auprès du public. Cela conduit à son tour à encore plus de surproduction.
Ce phénomène ne touche pas seulement la musique, mais l’ensemble du secteur créatif. Prenons l’exemple des films. Presque tous les nouveaux films sont des suites, des remakes ou des spin-offs d’un succès au box-office lointain. Les franchises sont exploitées comme pas possible. La quantité produite est énorme, mais la créativité fait défaut.
La musique et l’art expérimentaux continueront d’exister dans des niches, mais ce sont précisément ceux-là qui ne sont pas écoutés. Les gens veulent toujours plus de la même chose, et ils obtiennent ce qu’ils veulent.
Le processus n’est pas entièrement automatisé. Ce sont toujours des êtres humains qui doivent décider si quelque chose doit être supprimé. Cela nécessite même beaucoup de personnel, qui ne doit cependant pas coûter cher.
Et même si cela réussissait, qu’est-ce que les plateformes y gagneraient ? Leurs investisseurs veulent de la croissance. Tout doit croître, et plus vite que prévu, pour que le cours des actions grimpe. L’IA permet de générer très facilement de la croissance. Cela ne m’apporte rien que Spotify compte 500 millions de nouvelles chansons ennuyeuses. Cela semble toutefois sans importance, l’essentiel est de présenter des chiffres impressionnants.
Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense.
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Tout afficherIl ne faut ni beaucoup de temps ni des compétences musicales particulières pour créer des morceaux avec l’IA. Il n’est donc pas étonnant que le monde soit actuellement inondé de chansons générées par ordinateur. En l’espace d’un an, Spotify a supprimé pas moins de 75 millions de titres de son catalogue (en anglais) parce qu’il s’agissait de spam généré par l’IA. Son concurrent Deezer, qui lutte depuis plus longtemps que Spotify contre de telles chansons, supprime chaque jour 30 000 morceaux, et la tendance est à la hausse. Sur une année, cela représenterait tout de même 11 millions de titres.
Comme le rapporte le Guardian (en anglais), cela conduit également au blocage de vrais artistes. Les algorithmes ne fonctionnent pas de manière fiable. Il suffit qu’une chanson soit soudainement diffusée beaucoup plus souvent pour qu’elle soit bloquée, alors que cela peut également se produire pour des raisons légitimes, par exemple si elle passe à la radio ou devient virale sur TikTok. Il est alors difficile pour les artistes de contacter le portail et encore plus difficile de prouver leur innocence.
Même avant l’invasion des déchets de l’IA, on produisait déjà beaucoup plus que ce que les gens voulaient et pouvaient écouter. Ou, comme le décrit Forbes (en anglais) : la demande en musique reste toujours à peu près constante, tandis que l’offre croît de manière exponentielle. Même sans IA, il est de plus en plus facile de produire un morceau de musique avec une bonne qualité sonore. Au siècle dernier, un groupe devait louer un studio d’enregistrement professionnel et engager des spécialistes qui savaient s’en servir. Aujourd’hui, un ordinateur portable ordinaire ou même un iPad avec une interface audio suffit. Un bon logiciel abordable n’est pas difficile à trouver et il sera plus performant, même si vous le comparez au matériel ultra haut de gamme d’autrefois. De plus, tout le monde peut publier ses œuvres sur des plateformes telles que Spotify. Cela n’était pas le cas auparavant.
Il n’est donc pas surprenant que le nombre de nouvelles chansons augmente de manière exponentielle. Cette évolution ne concerne pas seulement la musique, mais pratiquement tous les contenus numériques, que ce soit les photos, les vidéos ou les jeux. Le graphique montre la part de vidéos téléchargées sur YouTube entre 2005 et 2022, sur la base d’une étude de 2023 reposant sur 1000 échantillons aléatoires. La tendance est claire.
Bien que l’on produise beaucoup plus, il n’y a pas plus de styles différents ou d’œuvres uniques. Dans les charts, la diversité baisse même depuis longtemps. J’ai déjà écrit un article sur les raisons de ce phénomène il y a quelques années. Cela tient en grande partie au fait que la musique qui connaît un succès commercial doit aujourd’hui être optimisée pour les portails de streaming. Cela signifie par exemple que l’essentiel d’une chanson doit apparaitre dans les 30 premières secondes. Il devient ainsi pratiquement impossible d’écrire des chansons complexes et variées.
L’IA s’inscrit pleinement dans cette tendance. Par définition, l’IA générative consiste à générer davantage de la même chose. Elle crée des chansons, des images ou des vidéos en reproduisant des structures connues. Elle peut également recombiner des éléments de différents styles, mais cela ne donne pas naissance à un nouveau style cohérent. En réalité, on trouve actuellement plus de genres différents dans les charts que jamais auparavant. Cependant, il n’y a pas eu de nouveaux styles ces dernières années.
Pourquoi serait-ce un problème de donner aux gens ce qu’ils veulent ? Parce qu’il ne s’agit alors plus d’un art. Dans de nombreux cas, cela n’a rien de grave. La musique dans un ascenseur ou en fond sonore d’une vidéo n’a pas besoin de répondre à des exigences artistiques. Le véritable art, lui, surprend, rejette les conventions et les attentes, et oblige ainsi le public à s’ouvrir à quelque chose de nouveau. Le jazz, le rock, le punk, le rap, la techno, voire la pop, tous ces styles ont fait scandale à leurs débuts et se sont heurtés à une forte résistance. Au début du siècle dernier, la samba était même interdite au Brésil, les musiciens étaient persécutés et emprisonnés. Si l’on avait toujours donné aux gens ce qu’ils voulaient, tous ces styles n’existeraient pas aujourd’hui.
Bien avant l’invasion de l’IA, les grands portails Internet ne pouvaient gérer les quantités gigantesques de contenu qu’à l’aide d’algorithmes. Jusqu’à présent, cela n’était guère un sujet pour les portails de streaming musical, mais on connaît le problème de Facebook et YouTube. Les algorithmes qui sanctionnent automatiquement les violations du droit d’auteur ou d’autres infractions sont sujets à des erreurs. Des accusations injustifiées peuvent mettre les créateurs de contenu dans une situation très difficile, car ils sont à la merci des plateformes. Ils doivent jouer le jeu selon leurs règles.
Ils travaillent donc pour des sous-traitants dans des pays à bas salaires comme les Philippines ou le Kenya (articles en allemand) dans des conditions précaires.
L’avènement de l’IA va accroître la demande pour ce type de main-d’œuvre et les entreprises vont essayer de réduire au maximum les coûts. Le problème va donc s’aggraver. L’entraînement de l’IA est déjà un sale boulot numérique. Les humains doivent donner leur avis sur l’apprentissage automatique, indiquer si la reconnaissance était bonne ou non. Pour cela, il existe des entreprises spécialisées telles que Outlier, qui embauchent de la main-d’œuvre dans le monde entier, à des conditions étonnamment mauvaises (en anglais).
Comment résoudre ces problèmes ? Je ne sais pas. Les portails pourraient bien sûr introduire des obstacles supplémentaires afin de limiter le flux de contenu. Il est toutefois peu probable que cela permette de trier uniquement le matériel IA indésirable et non la musique créée par l’homme, ne serait-ce que parce qu’il existe aussi des formes mixtes. Et exclure l’art créé par l’homme est délicat. Les portails trahiraient ainsi leurs propres idéaux et promesses : l’accès ne serait plus ouvert à toutes et à tous, mais il y aurait à nouveau des gardiens, comme autrefois. Le rêve américain, selon lequel chacun peut réussir par ses propres moyens, n’aurait alors définitivement plus lieu d’être.
Les générateurs d’IA tels que Suno ou Udio devront bientôt répondre de leurs actes devant les tribunaux. Il est plus que probable (en anglais) que ces outils aient été entraînés avec du matériel protégé par le droit d’auteur. Avec quoi d’autre sinon ? Il est fort possible que des sanctions soient prises afin de limiter les chansons générées par l’IA. Fondamentalement, il est toutefois impossible d’inverser cette évolution par des moyens juridiques. La technologie est là, et c’est comme le dentifrice : une fois sorti, impossible de le remettre dans le tube. Pour l’instant, il ne reste à mon avis que l’espoir (probablement naïf) que les mélomanes dépensent leur argent de manière encore plus ciblée, là où cela profite directement aux artistes, par exemple via Bandcamp ou en achetant des CD lors de concerts.
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