
En coulisse
J'ai joué à "Henry Halfhead" : Ce jeu suisse n'est pas tombé sur la tête
par Philipp Rüegg

« As Long As You're Here » est un simulateur de balade atypique. Au lieu d’une fuite de la réalité, il en propose une confrontation émotionnelle, bouleversante et étonnamment bienfaisante.
Annie ne se souvient pas des dernières paroles qu’elle a dites à son frère avant qu’il ne parte pour l’Europe il y a des années, la laissant seule avec son père malade.
C’est ainsi que commence As Long As You're Here, un jeu sur l’oubli et le souvenir, qui vous prend aux tripes.
Je n’ai jamais joué à quelque chose de comparable. Il ne dure qu’une heure et, selon les développeurs, devrait être joué d’une traite. Je confirme. La façon dont il me met à la place d’Annie, dont la maladie d’Alzheimer est de plus en plus virulente, est impressionnante.
Incarnant Annie, je me tiens debout à un arrêt de bus sous la pluie, prisonnière des souvenirs de mon défunt frère Christoffer. Alors que je lis notre dernier dialogue, les lignes de texte disparaissent soudainement. Cette astuce géniale simule ma mémoire défaillante.

Je ne sais plus où je suis et j’appelle ma fille Elisabeth. Elle me ramène à mon appartement, qui sera le théâtre de ma progression dans le jeu. Je viens d’emménager ici, dans le même immeuble qu’Elisabeth. Elle n’est qu’à quelques marches d’escalier si j’ai besoin d’elle.
Le jeu est saisissant dans sa manière de montrer comment les choses échappent lentement mais sûrement à tout contrôle. Jour après jour, j’essaie de me concentrer sur de petites tâches, comme faire du café, arroser les plantes, prendre les médicaments. Les petits mots d’Elisabeth m’aident à le faire.
Le jeu représente efficacement l’oubli qui s’immisce. La tasse de café n’est plus à l’endroit où je l’ai posée. Les comprimés restants dans la boîte à médicaments me font deviner que j’oublie parfois de les prendre. Toute ma famille est à table pour déjeuner, et je ne savais même pas qu’elle était là.

Le rythme de la narration est rapide, avec des sauts dans le temps habiles. Avant d’aller me coucher, les feuilles des arbres sont encore dorées ; au matin, j’aperçois de la neige en regardant par la fenêtre. Je n’ai aucune idée de ce qui s’est passé entre-temps, mais je ressens le poids de chaque instant alors que la vie défile devant moi.

Le jeu me joue des tours. Les pièces ont soudain l’air différentes, comme si j’étais dans mon ancienne maison. Je me croirais dans un jeu d’horreur. Il manque toutefois un accompagnement acoustique approprié. Certes, la musique est parfois sombre et souligne parfaitement l’ambiance générale du jeu, mais elle évoque un type d’horreur différent de celui que je ressens dans les jeux classiques du genre comme Karma : The Dark World.
Le jeu expose de manière phénoménale la perspective d’une personne atteinte de démence progressive. Les médecins me donnent des tâches, comme faire un arbre généalogique pour me souvenir de ceux que j’aime. Chaque section du jeu correspond à un membre de la famille que j’inscris. Cet outil de narration est génial.

En parallèle, je démêle l’histoire de mon frère et de son voyage en Europe. Celle-ci est racontée en bribes saisissantes, par exemple à travers une vieille carte postale que je trouve en déballant des cartons de déménagement.
Je découvre à quel point ma condition pèse sur ma famille. Des tensions apparaissent entre mes enfants, Elisabeth et Peter, qui se disputent à propos des soins et des finances. Cela donne un aperçu authentique de la gestion de la démence, et pas seulement du point de vue d’Annie.

Certains aspects ne sont que des éléments de narration courts, ce qui a du sens puisque c’est à travers Annie que je vois le monde. Ils mériteraient quand même d’être approfondis. Plusieurs moments avec les personnages secondaires sont néanmoins intenses, comme lorsque je prends Peter pour Christoffer ou que je passe du temps avec mon petit-fils Noah. J’ai l’impression qu’Annie ne sait plus exactement qui il est, mais je rejette cette idée. C’est un moment dont Noah se souviendra pour toujours.
As Long As You're Here est difficile à digérer, mais tellement bien préparé. Les graphismes et le gameplay sont simples, comme souvent dans les simulateurs de balade. Qui s’attache aux personnages, au thème de la démence et au récit personnel, y vivra quelque chose d’unique. Ce jeu m’a profondément ému. C’est un incontournable plein de sens pour toutes les personnes qui ont un lien avec le sujet et pour toutes les autres aussi.
« As Long As You're Here » est disponible depuis le 29 octobre sur PC. Je me le suis acheté moi-même.
La technologie et la société me fascinent. Combiner les deux et les regarder sous différents angles est ma passion.
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