Quand le meilleur joueur d'échecs n'était plus un homme
En coulisse

Quand le meilleur joueur d'échecs n'était plus un homme

David Lee
10.5.2022
Traduction: Anne Chapuis

Il y a 25 ans, les machines ont dominé le monde ; mais seulement le monde des échecs. L'humanité ne doit pas se sentir offensée ou menacée pour autant.

Il y a 25 ans aujourd'hui, le 11 mai 1997, l'ordinateur d'échecs IBM « Deep Blue » remportait la dernière partie décisive de la compétition contre le champion du monde de l'époque, Garri Kasparov. Deep Blue est ainsi devenu le premier ordinateur de jeu d'échecs à remporter une compétition en conditions de tournoi contre un champion du monde d'échecs. Deep Blue a remporté deux parties, Kasparov une ; les trois autres se sont soldées par un match nul.

Une version antérieure de Deep Blue avait déjà joué contre Kasparov en 1996 et avait également gagné une partie, mais avait perdu la compétition par 2 points à 4.

La compétition a fait l'objet d'une grande couverture médiatique. Le résultat pouvait être interprété comme un scénario de science-fiction devenu réalité : les machines ont surpassé les humains en intelligence... ou pas. En effet, la compétition a également suscité une réflexion sur la question de savoir ce qu'est réellement l'intelligence.

Est-ce qu'un ordinateur spécialisé dans le jeu d'échecs est intelligent ?

La procédure de base d'un ordinateur traditionnel spécialisé dans les échecs est simple : il essaie des possibilités et les évalue à l'aide d'une énorme base de données. Il le fait beaucoup plus rapidement, de manière plus fiable et avec une plus grande portée que n'importe quel être humain. Ce principe pas vraiment intelligent conduit à des coups forts si l'ordinateur est suffisamment rapide.

Il s'agissait donc moins d'intelligence que de puissance de calcul. En 1985, Kasparov jouait contre 32 ordinateurs d'échecs en même temps et les battait tous. « Pour moi, c'était l'âge d'or. Les machines étaient faibles, mes cheveux étaient vigoureux », plaisanta plus tard Kasparov dans un TED Talk.

Pour la compétition de 1997, Deep Blue a été massivement amélioré. Avec ses 480 processeurs d'échecs intégrés, il offrait une puissance de calcul extrême pour l'époque. Il pouvait calculer jusqu'à 200 millions de positions par seconde.

Le logiciel de Deep Blue ne faisait qu'explorer des possibilités, il n'était pas aussi trivial. Il a été perfectionné pour la compétition de 1997. Les programmeurs ont même procédé à des interventions entre les différentes parties afin d'optimiser encore le système. Cela rendait l'ordinateur imprévisible pour Kasparov. En revanche, Deep Blue avait accès à tous les matchs de Kasparov et connaissait donc son adversaire sur le bout des doigts.

La compétition était un grand événement. Les spectateurs ne se trouvaient toutefois pas dans la même pièce que Kasparov, ils suivaient l'action sur des écrans.
La compétition était un grand événement. Les spectateurs ne se trouvaient toutefois pas dans la même pièce que Kasparov, ils suivaient l'action sur des écrans.
Source : Stan Honda, Keystone

Les gens se fatiguent, passent une mauvaise journée ou se laissent déstabiliser. Kasparov a gagné la première partie et a abandonné la seconde. Les analystes d'échecs ont souligné après le match que Kasparov aurait probablement pu forcer une partie nulle en jouant un échec permanent. Cela a visiblement affecté le champion du monde, qui est resté en dessous de ses possibilités par la suite. Afin d'être moins prévisible pour Deep Blue, il a tenté, lors de la dernière partie décisive, une ouverture qu'il n'avait pas l'habitude de jouer. Une stratégie à haut risque qui n'a pas fonctionné. Kasparov a été forcé dans une position impossible et a abandonné après seulement 19 coups.

Les machines peuvent donc faire mieux ; et alors ?

Malgré toutes ces objections, il est clair que lorsqu'il s'agit d'un jeu purement logique comme les échecs, l'ordinateur est supérieur à l'homme. Avant même la compétition de 1997, il était prévisible que ce n'était qu'une question de temps avant que les hommes n'aient plus aucune chance contre les machines.

Aujourd'hui, cela va de soi. Même les programmes simples, comme le logiciel d'un appareil de fitness, sont au moins à la hauteur des humains. Levy Rozman, streamer d'échecs, tout de même champion international avec un score ELO parfois supérieur à 2400, remarque sèchement à la fin de son analyse Deep-Blue : « J'ai fait match nul contre un tapis de course. »

Avec l'utilisation de systèmes d'autoapprentissage, les logiciels d'échecs modernes deviennent encore plus puissants. AlphaZero a appris à jouer aux échecs tout seul fin 2017 et a rapidement battu le logiciel le plus puissant de l'époque, Stockfish. AlphaZero calcule beaucoup moins de coups qu'un programme d'échecs traditionnel, mais de manière plus ciblée.

Il n'y a aucune raison pour que l'humanité se sente offensée ou humiliée à cause de cela. Car tout cela, ce sont des hommes qui l'ont rendu possible.

Le triomphe de la machine n'a pas nui à l'humanité ni au jeu d'échecs. Aujourd'hui, plus de gens que jamais jouent aux échecs. Et nous sommes également loin des scénarios d'horreur du style HAL-9000. Les ordinateurs de jeu d'échecs ne font que mieux jouer aux échecs que nous, ils ne vont pas pour autant dominer le monde.

Photo d’en-tête : Photo : Keystone

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Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense. 


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