"Patine numérique" : Pour un avenir numérique autodéterminé
Le prototype "Digital Patina" transforme les données utilisateur en une interface esthétique. Il est l'œuvre du designer Felix Schulz, qui souhaite encourager l'exploration des traces numériques.
Jusqu'à présent, j'ai voyagé dans le temps avec des albums photo analogiques ou numériques. Bientôt, la même chose pourrait être possible avec mes traces de données sur le web, au lieu de photos : Le projet de fin d'études Digital Patina de Felix Schulz transforme l'historique d'un navigateur et les cookies web en un récit visuel. Il s'agit d'illustrer l'impact que peuvent avoir mes actions et celles de mon "jumeau numérique". Le jeune diplômé du master "Tendances et identité" de la Haute école des arts de Zurich m'explique ce que cela signifie dans un entretien.
Qu'est-ce que la "patine numérique"?
Felix Schulz: L'interface Digital Patina est à la fois une théorie et une expérience. Elle donne une esthétique aux données collectées sur les utilisateurs afin de vous informer sur vos propres traces en ligne. Actuellement, les cookies sont la seule chose qui enregistre et stocke le comportement sur le Web. Ils le font sous la forme d'un document écrit, basé sur des données et pas très visuel. Avec le prototype Digital Patina, une nouvelle médiation est possible, qui doit sensibiliser à une utilisation responsable des données.
Comment en êtes-vous arrivé là ?
Le projet a démarré avec un tout petit phénomène. J'ai lu qu'il était possible de récupérer le télétexte de vieilles cassettes VHS. Quelqu'un a écrit pour cela un programme pour le système d'exploitation "Linux". Pour cela, vous avez besoin d'un magnétoscope VHS et d'une puce TV pour la carte mère, avec laquelle le matériel vidéo VHS est injecté comme signal TV. Enfin, vous recevrez l'historique du télétexte sous forme de code.
Qu'est-ce qui vous a intrigué dans ce projet ?
Je voulais me demander de quoi il s'agissait réellement. Un format numérique dans un support analogique ? Une trace numérique analogique qui n'est pas lisible ? Parallèlement, je voulais m'interroger sur la manière dont les produits numériques vieillissent réellement. L'assistant Office "Clippy" de Windows en est un exemple. Ces anciennes interfaces utilisateur ont un certain charme, mais finissent par tomber dans l'oubli et perdent leur signification. C'est ce que j'ai trouvé intéressant, en plus de l'idée romantique du télétexte. Je voulais découvrir comment ces traces de l'utilisation numérique pouvaient être perçues de manière positive. C'est alors qu'est apparue la notion de patine, qui est en fait toujours associée à quelque chose de positif.
Comment avez-vous procédé ?
Au début, j'ai fait beaucoup de recherches pour savoir où en était réellement la science dans la réalisation visuelle de traces et d'espaces numériques. Ensuite, j'ai suivi une voie plutôt peu orthodoxe et j'ai mené dix entretiens avec des personnes du domaine. Cinq d'entre elles étaient entièrement issues du monde analogique : un restaurateur d'images, un mécanicien de précision, un paléontologue et deux archéologues. J'ai posé les mêmes questions à tous. Que sont les traces ? Comment les systématiser ? Comment les rendre visibles ? J'ai donné le même questionnaire à cinq personnes travaillant dans le domaine du numérique : un développeur backend, un UX designer, un data forensic, un data scientist et un criminologue.
Qu'avez-vous découvert en analysant les réponses à vos questions?
Mon objectif était de développer des codes et des concepts qui traitent de la systématisation et du traitement des traces. Je voulais établir une base théorique et clarifier la manière dont les traces peuvent être regroupées. Dans le but d'approcher différentes entreprises et de leur proposer un répertoire permettant de représenter les traces.
Vous avez ensuite utilisé votre prototype pour montrer l'achat d'une brosse à WC dans une boutique en ligne. Quelles sont les traces visibles ici ?
Pour l'instant, vous connaissez la vue normale en deux dimensions d'un site Web, dans laquelle aucune trace n'apparaît. Avec Digital Patina, il y aurait un bouton à activer qui convertirait l'interface utilisateur de 2D en 3D et vous montrerait ce que vous avez fait sur ce site au cours des trois dernières années. Dans le cas d'une boutique en ligne, il s'agit par exemple toujours du parcours du client. Vous pourriez passer sur les couches comme avec un détecteur de métaux et voir par exemple par quel funnel vous êtes passé et à quel moment, le tout sur une interface visuellement intéressante. Cela doit être amusant de découvrir des traces.
«Nous sommes certes issus d'un milieu formé au numérique. Mais cela ne signifie pas nécessairement que nous gérons mieux nos données.»
Pourquoi était-il important pour vous de spatialiser les traces?
Parce qu'elles n'apparaissent pas seulement sur des surfaces planes. En archéologie, on met à nu les surfaces, couche par couche, pour pouvoir les observer en coupe. Pour cela, on utilise la lumière. Le pathologiste m'a raconté que, la nuit, sur la plage, on utilise des projecteurs pendant des heures pour voir où se trouve le sol et comment il est fait, où il est plus clair ou plus sombre. En archéologie, un drone survole désormais les surfaces pour voir où la neige, par exemple, fond plus rapidement. Il doit donc y avoir une option pour se rapprocher des choses.
En termes de complexité, Digital Patina n'est pas encore tout à fait au point. La première approche consiste à mettre à votre disposition des outils, comme un coton-tige numérique, pour partir à la découverte. Avec une bêche numérique, vous creusez à travers un parcours client ou l'historique d'un site web. Il doit être possible de cliquer sur d'anciennes structures pour qu'elles remontent ensuite.
Puis-je utiliser les outils pour donner une patine différente ultérieurement?
Oui, exactement. Je veux que nous ne considérions plus notre jumeau numérique comme un mal nécessaire, qui existe quelque part, aussi protégé que possible. Mon objectif est de faire de lui et des données quelque chose d'intéressant et de changer les mentalités. Avec l'interface Digital Patina, vous pouvez détruire certaines informations et décider de ce qui doit être vu.
Pourquoi voulez-vous donner aux utilisateurs le contrôle des données produites ?
En matière d'utilisation des données, le rapport est inégal. Vous acceptez les cookies et recevez un service gratuit sur la base de ceux-ci - un "bon" solde. Mais une entreprise profite bien plus de cette production de données que nous, en tant qu'utilisateurs. Il est désagréable d'accepter un règlement dont je ne vois pas le résultat. Si je voyais les données autrement que sous forme de texte, je pourrais comprendre et influencer l'ensemble. Je veux conforter l'utilisateur dans sa position. Ainsi, ils auront un nouveau point de vue vis-à-vis de l'entreprise.
À qui s'adresse Digital Patina?
L'interface s'adresse aux entreprises et aux utilisateurs. Une fois que les questions techniques en suspens ont été résolues, Digital Patina doit vous apporter une nouvelle sécurité. Et vous donner une réponse à la question de savoir comment se construit la confiance numérique. Si je dispose d'un cadre sécurisé, je peux mieux me décider et faire confiance à une entreprise.
La patine numérique est censée réduire la complexité informatique. Cela devrait également être dans l'intérêt d'une entreprise. Si elle dit : nous vous rendons la souveraineté sur vos données et le pouvoir de décision. Nous voulons toujours les utiliser, mais uniquement celles que tu mets à disposition - il s'agirait alors plutôt d'une relation d'égal à égal et la fidélisation des clients pourrait être meilleure. Une entreprise qui ne s'occupe pas uniquement de la relation client avec un texte SEO sera probablement privilégiée. Vous n'irez peut-être plus dans une entreprise qui n'a pas l'option de la patine numérique.
«Plus une entreprise est transparente et explique ce qu'il advient des données des cookies sur son site, moins elle est antisociale vis-à-vis de l'utilisation des données.»
Quelle est la prochaine étape?
Tout d'abord, j'ai trouvé deux personnes de l'EPF de Zurich qui considèrent Digital Patina comme une source d'inspiration et qui sont intéressées par la création d'un site web à partir de cette technologie. Celui-ci commencera par visualiser les mouvements du curseur sous forme de carte de chaleur et les rendra interactifs via Google Analytics. Je souhaite également optimiser l'affichage des conditions d'utilisation et des cookies. Ce sont souvent de longs textes. Si vous y regardez de plus près, ils contiennent souvent la même chose pour différentes entreprises. J'imagine des vidéos qui permettent de visualiser ce qu'il advient des données que vous produisez à l'avenir sur un site Web. Les clients ne devraient pas être effrayés par de longs textes, mais devraient être informés de manière moderne.
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