
Point de vue
Je cours sans écouteurs
par Pia Seidel
Les disques, les cassettes et les magnétophones jouissent d'un grand charme rétro, mais pas les CD. Pourquoi ? Certaines raisons ne parlent pas contre le CD, mais en sa faveur.
Il semble y avoir un cycle pour beaucoup de choses. D'abord, elles sont utilisées parce qu'elles sont dans l'air du temps. Quelques années plus tard, elles sont obsolètes et plus personne ne s'y intéresse. Ensuite, elles deviennent des objets de collection très recherchés. Exemple : dans les années 80, le walkman offrait une toute nouvelle façon d'écouter de la musique. Dans les années 2000, on se moquait de ceux qui portaient encore un walkman sur eux, les considérant comme des fossiles arriérés. Aujourd'hui, soit vingt ans plus tard, ces petites boîtes s'envolent sur des plateformes d'occasion pour des montants à quatre chiffres. Les disques et les bandes magnétiques ont suivi le même parcours. À l'heure actuelle, ils sont certes peu répandus, mais assez convoités.
Le phénomène est le même pour les vieux ordinateurs, les voitures ou encore la mode, où un revival des années 90 aurait été impensable dans les années 2000.
Selon la logique de ce cycle, les CD devraient aussi devenir totalement cool à l'avenir. Mais certaines choses laissent penser le contraire.
Les collectionneurs préfèrent chasser les pièces rares. Ils sont particulièrement fiers des trophées qu'ils ont ainsi obtenus. Les CD ne sont pas sur la bonne voie, car ils ne sont pas rares, bien au contraire. Ils sont donc victimes de leur propre succès. Les chiffres de vente du CD au cours des 40 dernières années éclipsent de loin toutes les autres formes de consommation de musique.
Les disques nécessitent beaucoup de soin et d'entretien. Quelque chose dont on s'occupe constamment reçoit de l'amour et de l'estime. Une sorte de relation s'établit. Les CD, en revanche, fonctionnent même s'ils sont traités sans amour. Et lorsqu'un CD ne fonctionne plus, il suffit d'en graver une copie. Personne ne considère donc les CD comme quelque chose de précieux. Il en va de même pour leur lecteur qui ne nécessite aucun entretien. Le son d'un appareil bon marché ne diffère pas réellement de celui d'un appareil plus onéreux, ce qui n'est pas le cas des tourne-disques et des lecteurs de cassettes. Les lecteurs CD n'ont par conséquent rien à voir avec des objets de collection.
Les bandes magnétiques me fascinent parce que je peux regarder la musique se dérouler. Je vois comment la musique est transportée. Il en va de même pour les disques et, jusqu'à un certain point, pour les cassettes. Le CD, quant à lui, disparaît dans un tiroir et on ne le voit pas lorsque la musique est lue. Ce n'est bien sûr pas le cas de tous les lecteurs CD, mais de la grande majorité d'entre eux. De plus, ils se ressemblent tous. Techmoan a récemment réalisé une vidéo à ce sujet ; non sans présenter bien sûr un lecteur CD insolite, à l'aspect totalement différent, qui rend la musique visible.
Malgré son succès sans précédent, ou peut-être justement à cause de lui, le CD n'a jamais été cool. Il était trop présent. Les CD ont été achetés en masse par des personnes qui ne s'intéressaient guère à la musique. Comme le CD était si facile à utiliser, il était perçu comme un simple objet utilitaire, comparable à une brique de lait. À cela s'ajoutaient les préjugés autrefois très répandus contre la musique numérique, qui dérivaient souvent vers l'ésotérisme ; la musique sur CD serait "sans âme", disait-on ; comme si les sillons pressés sur du plastique avaient une âme.
Les chances pour que le CD devienne le prochain objet culte sont donc minces. Mais tout ce qui parle contre le CD en tant que tendance parle en faveur du CD en tant qu'objet d'usage courant. L'offre est énorme, l'utilisation est simple. Les CD fournissent un son fiable et bon marché. Vous bénéficiez un peu de sensation rétro, mais sans l'effort normalement associé aux supports de son rétro.
La principale raison pour laquelle on réécoute un CD n'a toutefois rien à voir avec de la nostalgie. C'est parce qu'on apprécie un album. Vous n'écoutez pas de titres au hasard, mais des morceaux assortis et cohérents, dont l'ordre a fait l'objet d'une grande réflexion.
Les CD valorisent le concept de l'album. Pour les disques, la durée d'un album est limitée à environ 45 minutes, alors qu'un album CD peut durer jusqu'à 74 minutes. De plus, il peut être lu sans pause intermédiaire. Je ne suis pas étonné que beaucoup plus d'albums aient été vendus sur CD que sur disque ; et le sont d'ailleurs encore.
Bien sûr, je peux aussi écouter des albums entiers sur des services de streaming ou en téléchargements. Mais la plupart du temps, je ne le fais pas, et même si je le fais, ce n'est pas la même chose. Le simple fait qu'aucune autre musique ne soit disponible tant qu'un nouveau CD n'est pas inséré fait déjà la différence. En insérant un disque, je m'engage à me consacrer entièrement à cet album.
Les CD augmentent la probabilité d'écouter des albums plusieurs fois. Vous découvrez de nouveaux détails cachés et vous vous en réjouissez. Peut-être que vous réalisez que les morceaux les plus discrets d'un album sont les meilleurs. Vous découvrez la musique.
C'est le but du CD. Pas d'être trouvé cool par des hipsters. Il n'y a pas de fétichisme du support ou de la machine. Pas de snobisme audio non plus. Il ne s'agit pas non plus de l'idée folle de devoir tout connaître et tout avoir. Il s'agit uniquement d'écouter de la musique.
Mon intéret pour l'informatique et l'écriture m'a mené relativement tôt (2000) au journalisme technique. Comment utiliser la technologie sans se faire soi-même utiliser m'intéresse. Dans mon temps libre, j'aime faire de la musique où je compense mon talent moyen avec une passion immense.