Critique de film : « Dune » vit et meurt par sa beauté
Critique de film

Critique de film : « Dune » vit et meurt par sa beauté

Luca Fontana
16.9.2021
Traduction: David Berthold

Dune ne manque pas de puissance visuelle. Il manque cependant une intrigue concrète : le film ressemble en fin de compte à un prologue beaucoup trop long, mais sacrément bon.

Cette critique ne contient aucun spoiler. Vous ne lisez que les informations connues grâce aux bandes-annonces déjà diffusées.


Dune est un projet risqué. Une promesse épique. Denis Villeneuve commence en effet par prendre 155 minutes pour raconter une histoire qui ne s’accélère vraiment que dans ses quarante dernières minutes, et encore. Il ne prend ensuite même pas la peine de terminer son histoire. Voilà ce que l’on peut voir dans les insertions de texte durant les premières minutes de film :

Dune.

Première partie.

Première partie ? De quoi ? La saga Dune compte six livres écrits par Frank Herbert. Le premier opus a été publié en 1965, le second en 1985. L’accent est mis sur des thèmes ambitieux tels que la colonisation, l’oppression, la révolution et la rédemption religieuse. Denis Villeneuve se consacre à la première moitié du premier livre. Il ne semble pas exister d’autres façons d’adapter cette saga. De nombreux réalisateurs se sont déjà cassé les dents dessus, dont David Lynch.

En fin de compte, Dune a l’apparence d’une œuvre non terminée, ou plutôt d’une promesse non tenue. Celle d’un riche scénario, d’une histoire travaillée. Les téléspectateurs n’ont d’autres choix que d’attendre patiemment la suite, pas encore tournée, pour peu que le studio de cinéma Warner Bros. l’autorise.

« Dans Dune, il est beaucoup question de rêves », déclare avec justesse l’actrice Zendaya au début du film.

Ça parle de quoi ?

D’épice. Une drogue, mais aussi la substance la plus importante de l’univers. Elle prolonge la vie humaine et améliore les capacités physique et intellectuelles. Mais surtout, l’Épice rend les voyages interplanétaires possibles dans une galaxie contrôlée par un empire féodal.

Elle s’obtient sur la planète désertique inhospitalière Arrakis, également appelée Dune. Cette dernière est contrôlée par la Maison Harkonnen, qui opprime les peuples indigènes d’Arrakis et s’enrichit grâce à l’Épice. Un évènement va alors se produire : l’empereur Shaddam IV retire le contrôle de la planète à la maison Harkonnen et le confie au duc Leto (Oscar Isaac) de la maison Atreides. Le duc flaire un piège, mais ne peut refuser l’offre de l’empereur.

On comprend vite que la maison Harkonnen ne peut pas accepter la honte de perdre l’Épice. Tandis que la maison brutale prépare sa vengeance, Paul Atreides (Timothée Chalamet), le jeune prince héritier de la maison Atreides, fait ses premiers pas dans un monde désertique qui le vénérera bientôt comme un messie et un sauveur, peut-être même comme le meneur prophétique d’une révolution interplanétaire.

Dune : c’est de toute beauté !

Qui dit film de Denis Villeneuve dit histoire ambitieuse racontée plutôt lentement, presque tranquillement. C’est important. Le réalisateur canadien prend volontairement le temps d’installer le monde de science de Frank Herbert dans toute sa gloire audiovisuelle,

par exemple quand les vaisseaux spatiaux qui transportent des peuples entiers ressemblent à de minuscules grains de riz sur fond de planète désertique. Dans le plan suivant, près du sol, ces grains de riz s’étendent soudain sur tout l’écran comme s’ils pouvaient déplacer des océans entiers.

Timothée Chalamet en Paul Atreides
Timothée Chalamet en Paul Atreides
Source : © 2020 Warner Bros.

Denis Villeneuve profite de cette extravagance épique jusqu’à l’épuisement pur et simple. Il l’a déjà fait dans Arrival et c’est encore plus visible dans Blade Runner 2049. Peu d’autres réalisateurs font de la puissance visuelle un élément stylistique aussi important que lui. Cette technique nous donne certes la chair de poule au début, mais finit par nous assommer à la longue. La partition de Hans Zimmer, vous avez bien lu, contribue fortement à cette ambiance :

lourde, marquante, mais aussi pesante.

Le directeur de la photographie Greig Fraser, qui avait déjà un instinct certain pour les grands panoramas dans Rogue One : A Star Wars Story, est également responsable de la puissance visuelle. On tombe facilement raide dingue de dunes à perte de vue de la planète, de ses lignes et de ses crêtes rouge orange, et enfin de ses paillettes dans le sable : les fameuses épices. Il fait trop chaud sur Arrakis pour s’y balader dehors pendant la journée.

Les emblématiques vers des sables (monstres géants qui vivent sous le sable) impressionnent encore plus. Terrifiant. Ils se déplacent sans cesse et font trembler la terre. Rarement la beauté majestueuse et l’horreur absolue ont été aussi proches l’une de l’autre.

Il est clair que Dune symbolise la pure magie cinématographique la plupart du temps, un chef-d'œuvre visuel. Ce long-métrage constitue peut-être même une tentative de lutte contre la lente dérive des grands films vers le monde du streaming de Netflix et Cie, hélas sans succès pour l’instant. En effet, Dune, qu’il faut absolument voir dans un cinéma IMAX, a été lancé simultanément sur HBO Max,

tout du moins aux États-Unis.

La beauté ne fait pas tout

Ce n’est pas de la faute de Greig Fraser si les évènements de Dune ne sont finalement rien d’autre qu’un prologue long et fastidieux à la vraie histoire. Denis Villeneuve est bien plus à blâmer. L’homme de 53 ans tient plusieurs casquettes dans ce film : réalisateur, mais aussi coscénariste. Dune rencontre justement des problèmes narratifs.

Pendant la quasi-totalité des 155 minutes, Denis Villeneuve tente de retranscrire au cinéma très complexe des livres. Une entreprise très périlleuse. La série de livres Dune ne se contente pas d’être le joyaude la littérature de science-fiction. Elle est aussi un « glossaire » sans fin de noms de lieux, de peuples, de traditions religieuses et de systèmes politiques.

Le même phénomène existe dans le Seigneur des Anneaux de J.R.R. Tolkien pour le genre fantastique.

Oscar Isaacs dans le rôle du duc Leto Atreides
Oscar Isaacs dans le rôle du duc Leto Atreides
Source : © 2020 Warner Bros.

Denis Villeneuve est un fan absolu de la saga, on le sent dès le début. Tous comme dans les livres, il y a des planètes exotiques habitées pas de magnifiques dynasties, les classes dirigeantes dans un futur de 10 000 ans. Elles ont toute leur propre histoire et leur propre mythologie, sans compter les intrigues de cour et les personnages à l’arrière-plan qui nourrissent parfois des intentions perfides.

Le problème, c’est qu’il faut juste trop de temps pour que tous ces badinages préliminaires se transforment en un véritable fil de discussion. On attend ainsi désespérément le coup du sort, l’astuce narrative qui déclenche les évènements dans chaque histoire, par exemple dans Harry Potter ou Star Wars. Même dans le Seigneur des Anneaux, les lettres de la cheminée, les parents adoptifs assassinés et la transmission de l’anneau unique se déroulent dans la première demi-heure. L’évènement comparable dans Dune n’a pas lieu avant deux heures de film.

Cette lenteur conduit de facto à une impression d’assister un long prologue avant d’accéder à l’intrigue principale. Les visions dans le futur du protagoniste et messie prophétique, Paul Atreides, n’aident pas non plus. En effet, nous ne connaîtrons jamais son rêve d’avenir, celui de révolution, de lutte pour la liberté et de rédemption, ni de près, ni de loin. Peut-être y aurons-nous droit dans une suite prochaine.

C’est frustrant. Du coup, on a un peu le sentiment que les belles photos et les sublimes décors ne sont que de la poudre aux yeux.

Bilan : une narration pas terminée

Je ne suis pas contre un cinéma hollywoodien plus lent, moins nerveux, mature, calme et réfléchi. J’aime quand le cinéma lève le pied et ne prend pas le public pour un imbécile.

Le problème, c’est que Dune pousse le concept à l’extrême.

Le problème principal réside dans sa structure narrative : le film établit pendant deux heures des mythes et des idées qui ne deviennent pertinents que dans une suite qui ne sera peut-être jamais réalisée. Le film vit et meurt uniquement par ses qualités esthétiques.

Zendaya en Chani
Zendaya en Chani
Source : © 2020 Warner Bros.

Il me manque une histoire, une raison de voir le film : pourquoi est-ce que je regarde Dune ? Pourquoi tout ce cirque autour d’une histoire dont je sais qu’elle va avoir lieu, mais dont rien n’est montré. Pourquoi devrais-je m’intéresser au destin du prince héritier Paul ? Pourquoi m’intéresser à la jeune indigène, qui, dans ses visions, précipite Paul dans la ruine ou l’aide à accéder à la gloire ?

Quelque chose me dit que j’aurai besoin de la deuxième partie pour comprendre la première. Et d’ailleurs, je la veux vraiment, cette deuxième partie. On ne discute pas. Ce n’est qu’à ce moment-là que je pourrai vraiment évaluer la première partie.

En dehors des images absolument fabuleuses du film, la substance de Dune me glisse entre les doigts comme du sable. Le film se termine d’ailleurs d’une manière très ironique.

« Ce n’est que le début » dit un personnage à Paul.

Générique.

Rentrez chez vous.


« Dune » est disponible dans les salles de cinéma à partir du 16 septembre. Durée du film : 155 minutes.

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Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.» 


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