
Guide
Quels sont les chargeurs de secours vraiment puissants ?
par Aurel Stevens
J’ai rédigé un guide d’achats pour les chargeurs de secours. J’ai rencontré un étrange problème avec l’un des produits. Voici l’histoire d’une enquête mystérieuse.
Chez digitec, nous souhaitons proposer de plus en plus de guides d’achats. En tant que rédacteur en chef, j’ai choisi de donner l’exemple et je me suis donc attelé aux chargeurs de secours. Je suis très minutieux dans mes tests. Si minutieux que cela fait déjà un mois que je travaille sur mon guide. L’équipe de rédaction n’a pas manqué d’en faire un running gag. Cela dit, j’ai réussi !
Un lecteur enthousiaste m’a aidé dans la réalisation de mon guide d’achats. Il a réalisé des mesures pour chacun des chargeurs de secours. Nous avons ensuite analysé ensemble les résultats obtenus. J’ai ensuite rédigé l’article. C’est ainsi que nous nous étions réparti les tâches.
Dans le cas d’un des produits, nous avons remarqué que les propriétés annoncées divergeaient. Il s’agit du Aukey PB-Y7. Le nom du produit et ses caractéristiques indiquent 30 000 mAh. La brève description du chargeur de secours annonce quant à elle 26 500 mAh.
Une recherche rapide en ligne a révélé que le produit est commercialisé avec des caractéristiques différentes pour une même référence de modèle : PB-Y7. On trouve tantôt 26 500 mAh, tantôt 30 000 mAh.
J’ai signalé ce problème à notre chef de produits responsable des chargeurs de secours et lui ai demandé quelle version nous proposions. Il a transmis la question à notre fournisseur, qui n’est cependant pas le fabricant Aukey. La réponse que nous avons reçue nous indiquait que nous disposions d’une version prévue pour le « commerce hors ligne », à l’inverse d’Amazon, par exemple.
J’ai trouvé cela étrange pour plusieurs raisons :
Impossible d’apporter une réponse rationnelle à ces questions. Tout cela n’a aucun sens.
La cerise sur le gâteau, c’est que le chiffre de 30 000 mAh semble une capacité peu judicieuse. En effet, elle poserait problème en avion. La plupart des compagnies aériennes, dont Swiss, n’autorisent que les batteries allant jusqu’à 100 wattheures (Wh). Pour les batteries de plus de 100 Wh, une autorisation est requise. Et ce n’est pas uniquement le cas de Swiss. C’est pourquoi la plupart des chargeurs de secours puissants flirtent avec la limite magique de 26 500 mAh. 3,7 volts équivalent ici à une énergie de 98,05 Wh.
Les 30 000 mAh du PB-Y7 équivalent à 111 Wh. Ce nombre est d’ailleurs annoncé au dos du boîtier. Pourquoi un fabricant voudrait-il rendre ce produit inadapté aux voyages en avion pour seulement 11 % de capacité en plus ?
Mon hypothèse, qui semble la seule réponse possible, c’est que le fabricant commercialise en fait un seul produit décrit de deux façons différentes. En effet, il voudrait ici annoncer un produit plus puissant que ceux de ses concurrents avec ses 30 000 mAh.
Chez moi, les voyants rouges se sont allumés.
J’ai un peu fouiné sur le site Internet du fabricant Aukey. Il devrait bien pouvoir nous donner des indications précises pour chaque variante.
Voici la page Internet du fabricant pour la version à 26 500 mAh. Et voici la page Internet d’Aukey pour la version à 30 000 mAh.
On remarque un défaut sur la deuxième page. Elle annonce une capacité de 98,05 Wh. C’est-à-dire la même valeur que pour la version avec 26 500 mAh. Or, c’est impossible :
La seule explication possible serait que, pour le cas où la version de 30 000 mAh aurait une tension de cellule plus faible, on obtiendrait 3,26 volts pour 98,05/30. Si la tension était différente, les cellules auraient alors une composition chimique totalement différente. Il pourrait éventuellement s’agir de cellules au LiFePO₄ qui fournit une tension entre 3,2 et 3,3 V. Cela semble cependant peu probable. En effet, ils ne s’appelleraient alors pas tous les deux PB-Y7.
J’ai donc décidé de percer le mystère et ai commandé un modèle de 26 500 mAh en Allemagne. Comme il ne pouvait pas être livré en Suisse, il a fait escale chez nos collègues de Galaxus.de (qui ne proposent malheureusement pas ce produit dans leur gamme).
Enfin, nous y sommes, j’ai les deux produits devant les yeux. Pour commencer, je suis allé à la Poste Suisse qui a ses bureaux dans le même bâtiment que nous. La Poste possède en effet des balances très précises et Erich, qui nous apporte nos courriers, a pesé les deux produits pour moi.
Une différence de capacité de 10 % devrait entraîner une différence de poids entre les deux produits. Le chargeur le plus puissant devrait être sensiblement plus lourd. Et non : les deux pèsent exactement 565 grammes. Non seulement les deux PB-Y7 font le même poids, mais ils se ressemblent également comme deux gouttes d’eau. Les connecteurs sont identiques. Les dimensions sont également les mêmes.
Tout cela est de plus en plus curieux.
J’ai donc sorti l’artillerie lourde et ai décidé d’examiner les deux chargeurs de secours de plus près. Je les ai laissés se décharger entièrement puis les ai rechargés. Le débit de courant consommé par chaque chargeur a été mesuré à l’aide d’un appareil USB man-in-the-middle. Au bout de deux périodes de chargement de 10 heures chacune, j’avais les résultats.
Voici les résultats pour la version de 30 000 mAh :
Capacité : 23 674 mAh.
Et voici les résultats pour la version moins puissante de 26 500 mAh :
Capacité : 23 761 mAh.
Le chargeur de secours moins puissant possède donc 87 mAh de capacité en plus. C’est culotté !
Je pense devoir tout de suite expliquer pourquoi on ne retrouve pas une valeur minimale de 26 500 mAh ici. En raison de la conversion de la tension (tension d’entrée : 5 volts, tension de cellule : 3,7 volts), environ 10 % de l’énergie se dissipe en déperdition de chaleur. C’est le cas de tous les chargeurs de secours.
Par ailleurs : le fait que les deux variantes emmagasinent la même quantité d’énergie confirme l’hypothèse qu’il ne s’agit que d’un seul et même produit. Et ce, malgré des descriptions différentes.
J’ai voulu en avoir le cœur net et ai donc décidé de disséquer le modèle annoncé comme plus faible que j’avais acheté en Allemagne. Je réussirai peut-être à en savoir plus en examinant l’intérieur du chargeur. Tel un véritable spécialiste, je me suis saisi d’un tournevis pour ouvrir le boîtier en plastique.
Attention : ne tentez pas de faire la même chose chez vous. Si vous endommagez les cellules de batterie en ouvrant le chargeur, elles prendront immédiatement feu !
Mon hypothèse était que chaque chargeur contenait des cellules de 9000 mAh et que nous avions tout simplement reçu une version falsifiée qui annonçait une capacité supérieure. J’ai été très étonné de constater que c’était tout le contraire. Le plus petit chargeur de secours contenait trois blocs LiPo d’une capacité de 10 000 mAh chacun à 3,7 volts. Au total 37 wattheures. Soit 111 wattheures si l’on multiplie par trois.
Aukey ne prétend donc pas que le produit soit plus puissant, mais l’annonce moins performant qu’il ne l’est en réalité ! Il n’y a qu’une raison possible pour laquelle Aukey pourrait faire cela : pour qu’un produit annoncé comme moins puissant puisse légalement être emporté en avion.
C’est assez délicat. Aukey enfreint ainsi les réglementations de transport et de sécurité. Même si les produits sont transportés par des vols cargo pouvant avoir des réglementations un peu moins strictes, le client final peut emporter le chargeur de secours avec lui en avion et ainsi commettre une infraction sans le savoir.
Petit rappel : comme nous l’avons récemment découvert, lorsqu’une fraction des Macbook Pro de 2015 présente des soucis de batterie, les autorités chargées de la sécurité aérienne et les compagnies publient des mises en garde. Qantas ne plaisante pas et interdit désormais tous les Macbook, même les modèles qui n’étaient pas concernés par les dysfonctionnements.
Je serais assez curieux de savoir comment l’entreprise réagirait aux pratiques osées d’Aukey.
Cela dit, je me suis d'abord intéressé à ce qu’Aukey avait à dire à ce sujet.
J’ai contacté notre distributeur installé à Hong Kong et je lui ai posé la question. Je lui ai envoyé les deux photos de mes mesures de capacité pour lui expliquer plus précisément mon problème. Mon aimable interlocuteur s’est occupé de ma demande et l’a transmise au fabricant Aukey.
Ce dernier m’a répondu environ deux semaines plus tard. Selon son département technique, il existerait bien deux variantes. La version avec 30 000 mAh serait la bonne et correspondrait à la façon dont le produit a été conçu. Nous aurions donc eu le bon produit dans le bon emballage. Cependant, quelques éléments de la description auraient été modifiés pour répondre aux exigences des autorités réglementaires.
« Le même produit avec un emballage un peu trafiqué » explique l’e-mail. Pardon ? J’ai été très surpris par cette dose de franchise brute. Au vu de cette réponse transparente, j’ai demandé explicitement ce qu’Aukey faisait exactement :
a) Aukey indique que le PB-Y7 possède 30 000 mAh (111 Wh) bien que cela ne soit pas le cas, afin de pouvoir proposer un produit aussi performant que possible.
b) Aukey indique que le PB-Y7 possède 26 500 mAh (98,05 Wh) bien que le produit soit plus puissant, afin de se conformer aux exigences de l’AITA sur le papier.
Je n’ai pas reçu de réponse à ce dernier e-mail. Le distributeur, que j’avais contacté et que je maintenais informé au fur et à mesure, ne m’a plus répondu non plus.
Comme je n’ai pas reçu davantage d’informations, j’ai élucidé le mystère seul et rédigé moi-même le dernier chapitre provisoire de cette histoire mystérieuse. J’en ai appris énormément au cours de la rédaction du guide d’achats et je pense bien savoir ce qui s’est passé ici.
On trouve très peu de chargeurs de secours qui annoncent véritablement honnêtement ce qu’ils contiennent. Dans le guide d’achats, j’ai illustré par un graphique « facteur Pinocchio » l’ampleur du décalage pour chaque modèle testé.
Le fait que la capacité annoncée soit un peu fantaisiste ne signifie pas nécessairement que le chargeur de secours est mauvais. Si le chargeur de secours est très abordable, le rapport qualité-prix peut être intéressant, même si les promesses en termes de capacité sont exagérées. C’est notamment le cas ici. L'Aukey PB-Y7 n’est pas un mauvais produit. C’est même un bon produit ! Le chargeur n’offre pas 30 000 mAh, mais c’est un bon chargeur de secours du point de vue du rapport qualité-prix.
Le fabricant joue ici un jeu dangereux : vis-à-vis du client final, Aukey veut annoncer un chiffre aussi élevé que possible. De nombreux utilisateurs de chargeurs de secours recherchent le modèle le plus puissant et choisissent donc celui avec la capacité nominale la plus élevée. Si une autorité chargée de la sécurité aérienne commence à poser des questions et menace de prendre des mesures, Aukey pourra dire que les chargeurs n’offrent en réalité pas 111 Wh. C’est gagnant-gagnant.
Ce n’est pas un hasard si cet article arrive la veille du Black Friday. Le PB-Y7 sera l’un des produits en promotion. Vous pourrez l’acheter à prix très attractif le 29.11. Nous avons par ailleurs intégré les conclusions de cet article à la description du produit afin que tout le monde sache à quoi s'en tenir.
Aukey Powerbank PB-Y7
30000 mAh, 111 Wh
Je recommande l’achat de ce chargeur de secours, car celui-ci est vraiment un bon produit. Même sans réduction. J’espère que cet article sera lu chez Aukey et que l’entreprise se réoriente vers un marketing plus honnête. Le contraire serait dommage, étant donné que les produits sont tout de même de qualité.
Je dompte la rédaction. Rédacteur le jour, papa le soir. Je m’intéresse à la technique, aux ordinateurs et à la HiFi. Je fais du vélo par tous les temps et suis presque toujours de bonne humeur.