
En coulisse
Disney+ arrive – et répète la même erreur que Netflix
par Luca Fontana
En Occident, l’anime a longtemps été considéré comme l’apanage des enfants. Aujourd’hui, il joue un rôle à part entière dans la pop culture. Du streaming aux Oscars, en passant par les salles de cinéma et nos bibliothèques : cette forme narrative japonaise a conquis le monde. Et cela n’a rien d’un hasard.
En parcourant les nouveautés de ma librairie, mon regard tombe sur une immense étagère remplie de mangas. Solo Leveling, Jujutsu Kaisen, Blue Lock ou encore Gachiakuta : tous placés bien en vue. Devant l’étagère, trois adolescents, un couple dans la vingtaine et un homme aux tempes grisonnantes, peut-être la trentaine. Tous feuillettent, fouillent, comparent. Je m’interroge.
Quand le manga et l’anime sont-ils passés du statut « pour enfants » à celui de mouvement culturel ?
J’ai longtemps pensé que les animes constituaient du divertissement pour enfants. À l’âge de 10 ans, je regardais Pokémon, Dragonball et One Piece avec des étoiles dans les yeux. En grandissant, les animes ont disparu de mon quotidien. Dans ma vingtaine, ils faisaient plutôt sourire. Aujourd’hui, j’ai l’impression que presque tout le monde regarde des animes, et que ça ne choque plus personne.
Ça n’a pas toujours été le cas. Lorsque Le Voyage de Chihiro est devenu le premier anime à remporter l’Oscar du meilleur film d’animation en 2001, il s’agissait d’un évènement unique pour l’époque. Mais depuis que Parasite a remporté l’Oscar du meilleur film en 2020 et que Squid Game est devenu un phénomène mondial, il est clair que les bonnes histoires n’ont plus besoin du label « Hollywood » pour se faire une place dans la pop culture internationale.
Pas de doute, ce changement de perspective a également joué en faveur des animes. En Occident, leur popularité ne fait que grandir. Et ce n’est pas moi qui le dis, ce sont les chiffres.
Il suffit de jeter un œil à Netflix pour en avoir la preuve. L’entreprise a en effet indiqué que plus de la moitié de tous ses abonnés dans le monde entier (soit environ 150 millions de foyers ou 300 millions de personnes) regardent des animes. L’année passée, ces derniers en auraient regardé environ un milliard, soit trois fois plus qu’en 2019.
À noter également que cette année, 33 animes différents ont fait leur entrée dans le top 10 mondial des contenus en langue non anglaise les plus regardés, soit presque deux fois plus qu’en 2021.
Netflix a voulu réagir à cette tendance croissante en investissant massivement, tant dans des productions originales japonaises que dans des séries américaines inspirées de l’anime, comme Castlevania ou Blue Eye Samurai. Les grandes adaptations en live action comme One Piece ou Avatar, le dernier maître de l’air servent à attirer un public plus large. À cela s’ajoutent des versions doublées produites en interne dans jusqu’à 33 langues, ce qui montre bien que Netflix ne considère plus l’anime comme une niche, mais comme un pilier de contenu central pour le marché mondial.
Et le service de streaming américain n’est pas le seul à surfer sur la vague des animes. La plateforme spécialisée Crunchyroll entend bien tirer son épingle du jeu : entre 2021 et 2024, le nombre d’abonnements payants a triplé, passant de 5 à plus de 15 millions. Plus grand service de streaming d’animes en dehors du Japon, Crunchyroll bénéficie en outre de la croissance la plus rapide au monde. Avec Netflix, elle contrôle aujourd’hui plus de 80 % du marché international de l’anime.
Les analystes de Wall Street considèrent d’ailleurs Netflix comme un soutien de Crunchyroll plutôt que comme un concurrent. Ceux qui prennent goût au géant californien du streaming atterrissent en effet souvent tôt ou tard chez Crunchyroll. Les affaires sont donc florissantes. La plateforme est rentable depuis longtemps et constitue l’un des principaux piliers stratégiques de sa société mère, Sony.
Disney+ et Prime Video aimeraient eux aussi leur part du gâteau. Selon un sondage international (article en anglais), 32 % des fans d’anime les regardent sur Disney+, 29 % sur Amazon Prime, et 48 % sur Netflix. Disney mise sur l’exclusivité, avec des séries comme Bleach: Thousand-Year Blood War ou Star Wars: Visions contractuellement liées à la plateforme.
Aux États-Unis, Hulu (qui fait partie de Disney+) suit le même chemin. Les animes y représentent environ 12 % des contenus diffusés en streaming, contre près de 7 % sur Netflix. Predator: Killer of Killers est le dernier en date. Il paraîtrait même que le réalisateur James Cameron réfléchirait à des spin-offs animes d’Avatar pour Hulu.
Si le streaming reste le moteur du boom des animes, cette nouvelle popularité se répercute également au cinéma.
Pendant longtemps, les films d’anime ont été un phénomène marginal en Occident : un film Ghibli par an, peut-être une avant-première Pokémon, mais rien de plus. Aujourd’hui, les animes sont régulièrement présents sur grand écran. Ils remplissent des salles entières et attirent un public qui va bien au-delà des jeunes fans adeptes de cosplay.
Il suffit de regarder les chiffres pour s’en rendre compte : Demon Slayer: Mugen Train a rapporté près de 500 millions de dollars dans le monde, soit plus que tout autre film en 2020. En Amérique du Nord, le film a franchi la barre des 50 millions de dollars et est devenu le deuxième film japonais (article en anglais) le plus rentable de tous les temps.
En 2022, Jujutsu Kaisen 0 et Dragon Ball Super: Super Hero ont également fait fort avec respectivement 34,5 millions et 38 millions de dollars de bénéfice rien qu’aux États-Unis. Il y a 10 ans, le fait qu’un anime franchisse la barre des 10 millions d’entrées était considéré comme un fait unique. Aujourd’hui, cela sera à peine évoqué dans la presse spécialisée.
Cette nouvelle image ne concerne toutefois pas que les bagarres des shōnen : alors que Le Garçon et le Héron du studio Ghibli a mis Disney et consorts en échec en remportant l’Oscar du meilleur film d’animation en 2024, Suzume, l’un des films les plus acclamés du réalisateur japonais Makoto Shinkai (Your Name), a rapporté plus de 10 millions de dollars aux États-Unis et plus de 320 millions dans le monde.
Ce qui était autrefois considéré comme un évènement pour geeks fait aujourd’hui partie intégrante du calendrier cinématographique international. Des distributeurs comme Crunchyroll ou GKids lancent régulièrement des animes au cinéma, comme Haikyū!!, avec des stratégies bien pensées, souvent simultanément en version originale et doublée, avec des avant-premières, des produits dérivés et un marketing ciblé.
Le calcul est bon : si vous allez au cinéma aujourd’hui, vous avez de bonnes chances de trouver un anime à l’affiche aux côtés de Marvel et Pixar.
Le succès du streaming et du cinéma touche aussi les librairies. De Death Note à Spy x Family en passant par My Hero Academia et One Punch Man : au rayon bandes dessinées, les mangas côtoient désormais de plus en plus les superhéros occidentaux. Il y a quelques années, on ne trouvait ça que dans les boutiques bien achalandées.
Aux États-Unis, le plus grand marché occidental de bande dessinée, le manga est devenu une force dominante. En 2021, les ventes ont littéralement explosé : plus de 24 millions de mangas ont été vendus, une hausse de 160 % par rapport à l’année précédente. Des séries comme Kaiju n° 8 ou Solo Leveling ont caracolé en tête des ventes, souvent avec plusieurs tomes à la fois.
En Europe, la situation est similaire. En France, pays appréciant depuis toujours la bande dessinée s’adressant aussi aux adultes, le manga est le deuxième type de publication sur l’ensemble du marché du livre. En Suisse, des séries manga plus récentes comme DanDaDan ou Les Carnets de l’Apothicaire parviennent régulièrement à se hisser en tête des ventes, et pas seulement dans la catégorie bandes dessinées.
Ce qui est passionnant, c’est que le boom vient de nouveaux lecteurs et lectrices, mais aussi de nouveaux groupes cibles. En Occident, cela fait longtemps que le manga n’est plus un phénomène réservé aux adolescents de la gent masculine. Il s’adresse aussi aux jeunes adultes, aux femmes, aux communautés queers et, de manière générale, à celles et ceux qui ne se sont jamais sentis concernés par les bandes dessinées occidentales type Marvel ou DC.
Ce boom marque peut-être le début d’une nouvelle ère. En Occident, l’anime n’est plus réservé aux nerds et est désormais loin du « dessin animé d’Extrême-Orient » longtemps associé aux programmes pour enfants comme Heidi ou Les Attaquantes. Aujourd’hui, c’est un genre artistique international, plus diversifié, pertinent et omniprésent que jamais.
Vivre des aventures et faire du sport dans la nature et me pousser jusqu’à ce que les battements du cœur deviennent mon rythme – voilà ma zone de confort. Je profite aussi des moments de calme avec un bon livre sur des intrigues dangereuses et des assassins de roi. Parfois, je m’exalte de musiques de film durant plusieurs minutes. Cela est certainement dû à ma passion pour le cinéma. Ce que j’ai toujours voulu dire: «Je s’appelle Groot.»